Croissance et espérance de vie: y a t-il un lien chez le rat?

Les facteurs de l'espérance de vie

Il existe de nombreux facteurs pouvant influencer l'espérance de vie d'un individu. Tout d'abord, notons sa génétique: le vieillissement de son corps ainsi que sa sensibilité ou sa résistance aux maladies. L'évolution de la médecine vétérinaire et la meilleure compréhension et satisfaction des besoins de l'animal sont aussi un critère déterminant dans l'augmentation de la durée du vie du rat (régime alimentaire approprié, exercice quotidien, environnement adapté). Le stress est aussi un facteur important: un animal qui ne se sent pas en confiance, qui vit dans une cage étriquée ou surpeuplée sera sensible au stress qui réduit sensiblement la durée de vie.

Une étude effectuée sur des rats noirs (rattus rattus) a permis d'effectuer une corrélation entre la longévité des animaux et l'âge auquel le poids adulte était atteint.

Enfin, nous pouvons noter l'effet de la sélection: les pratiques d'élevage consistant en la sélection des individus les plus solides pour la reproduction a permis une avancée conséquente. L'élevage suppose une attention portée aux techniques de sélection, parmi lesquelles existe la théorie de la causalité entre une croissance lente et une meilleure espérance de vie.

Avantages et inconvénients liés à une croissance rapide

La taille est une conséquence de deux facteurs: le taux et la durée de la croissance. Une taille donnée peut donc être obtenue par une croissance rapide ou par une croissance sur une longue période.

1° Avantages: Une croissance rapide chez le rat serait liée à l'important risque de mortalité de l'animal à cause des prédateurs et des agents pathogènes. Les chances de survie à court terme sont donc naturellement privilégiées à l'espérance de vie.

Une croissance rapide permettrait de meilleures capacités de reproduction et la taille du corps serait intimement liée à la fécondité chez les femelles (Roff, 1992).

2° Inconvénients: Cependant, au niveau cellulaire, des études tendent à prouver qu'une croissance rapide serait associée à des niveaux élevés de stress oxydatif (Joyeux, 1995 et Rollo, 2002). Il s'agit du principal élément dans le processus de vieillissement du corps.

Avantages et inconvénients liés à une croissance lente

Pour les études en laboratoire, les animaux ont dû voir leur croissance ralentie grâce à plusieurs procédés: la limitation calorique (restriction alimentaire) la sélection génétique ou même le stress physique.

1° Avantages: Les chercheurs de l' "Animal Nutrition Laboratory" ont étudié pendant 4 ans le rapport entre une croissance lente et une meilleure espérance de vie. Pour ce faire, ils ont utilisé 106 rats divisés en 3 groupes: le groupe 1° comprenant 34 rats a été nourri ad libitum et a grandi normalement. Le groupe 2° contenait 36 rats et a été limité en nourriture à partir du sevrage. Le groupe 3° comprenait 36 rats et a été nourri suffisamment pour permettre une croissance normale jusqu'à 2 semaines après le sevrage puis a été limité de la même manière que le groupe 2°.

Les rats dont la croissance a été retardée n'ont atteint leur maturité qu'à 766/911 jours, sans jamais rattraper tout à fait les rats du groupe 1°.

Les chercheurs ont pu constater que les rats mâles des groupes 2° et 3° ont vu leur espérance de vie considérablement augmenté en comparaison des animaux du groupe 1°. Cependant, toutes les femelles des 3 groupes ont atteint un âge moyen équivalent. Les mâles des groupes 2° et 3° ont dépassé l'espérance de vie des femelles, tandis que ce n'est pas le cas pour ceux du groupe 1°.

La croissance lente serait donc bel et bien liée à une meilleure espérance de vie.

La même constatation été obtenue par Bartke et al. en 2001 et Rollo en 2002.

2° Inconvénients: Cependant, les chercheurs de l' "Animal Nutrition Laboratory" ont pu constater que les rats des groupes 2° et 3° (soit les rats ayant subi la croissance lente par restriction alimentaire) possédaient des os moins denses que les rats ayant grandi normalement (groupe 1°). En étudiant leurs fémurs, les chercheurs ont découvert que ceux des animaux des groupes 2° et 3° étaient fragiles, s'émiettaient facilement et étaient parfois poreux. Les rats du groupe 3° étaient cependant de meilleure constitution que ceux du groupe 2°, ce qui suggère que la prise de masse corporelle autorisée initialement au groupe 3° lui a été bénéfique. Les vieux rats ont été particulièrement touchés par les maladies urinaires et secondairement par des atteintes pulmonaires.

Une restriction de croissance engendrée par un stress physique chez des poissons aurait à l'inverse obtenu des effets contraires.

Procédés pour ralentir ou stopper la croissance

Nous l'avons vu, un stress physique sur des poissons pour stopper leur croissance durant une période donnée n'aura pas été concluant en matière de gain d'espérance de vie.

En terme de restriction alimentaire, il faut noter le cas particulier de la "croissance compensatoire" (ou "croissance de rattrapage"). Il s'agit d'une période pauvre en nutrition subie par les animaux pendant une période donnée, suivie par une alimentation non restrictive. Les animaux subissant cette méthode de nourrissage ont une croissance accélérée plus rapide que celle des animaux de contrôle ayant reçu un nourrissage ad libitum (Metcalfe et Monaghan, 2001).

La croissance compensatoire semble avoir un effet délétère et être associé à une durée de vie plus courte. Le poids gagné par les animaux pendant les périodes de croissance compensatoire serait principalement utilisé pour l'accumulation de graisses et cette adiposité accrue persisterait au-delà de la période de croissance (Dulloo et d'autres., 2002).

Il est aussi important de noter que la privation alimentaire, en causant une perte de masse, peut engendrer ou accentuer une sarcopénie (soit une perte physiologique de masse musculaire et une baisse des performances physiques).

Une étude a été menée sur des souris par la sélection génétique autour du gène GHR/BP. GH possède plusieurs rôles biologiques, y compris en ce qui concerne la croissance. Des souris ont été sélectionnées pour être porteuses homozygotes d'une perturbation de ce gène (notées souris 2/2), tandis que d'autres étaient génétiquement "normales" (souris 1/1). Les résultats démontrent que les souris 2/2 ont une croissance diminuée et une espérance de vie plus longue. Cette étude a ouvert la voie aux chercheurs pour un rôle potentiel de GH dans le vieillissement.

Conclusion et implications dans l'élevage de rats

Pour conclure, il semble qu'il existerait une corrélation possible entre les gènes qui influent sur le taux de croissance dans les débuts de la vie et l'espérance de vie. Mais en règle générale, il n'est pas si évident qu'une croissance rapide cause quelque dommage que ce soit à la durée de vie de l'animal. Il existe beaucoup d'autres facteurs et de paramètres associés devant être pris en compte. Ainsi, l'environnement est déterminant dans la vie du rat. Le procédé d’évolution naturelle n'est en réalité qu'un compromis entre les bénéfices et les risques dans le but de maximiser les aptitudes de l'animal.

Dans le cadre particulier de l'élevage de rats, notons que toute forme de stress est à bannir, ainsi que la restriction alimentaire temporaire ou durable qui pourraient engendrer des fragilités osseuses ou un effet néfaste sur l'espérance de vie des animaux. Ce qui est faisable en situation de laboratoire et entrepris par des chercheurs expérimentés ne l'est pas au niveau d'un éleveur amateur.

Décider d'entreprendre la restriction alimentaire étudiée par les chercheurs de l' "Animal Nutrition Laboratory" opposera à l'éleveur le risque de mal gérer la nourriture et les besoins des animaux et ainsi de créer des carences importantes, des problèmes de santé et possiblement la mort.

Un éleveur souhaitant travailler sur l'hypothèse de la croissance lente devrait utiliser la sélection pour y parvenir, et ne pas l'imposer par quelque méthode que ce soit.

Un autre moyen d'augmenter l'espérance de vie chez le rat ?

Tout d'abord, à l'échelle de l'éleveur, une attention accrue à l'alimentation donnée aux rats peut avoir des effets bénéfiques insoupçonnés. La provenance de la nourriture est d'importance. Un groupe de rats de laboratoires nourris avec un régime alimentaire très faible en méthionine a vu sa durée de vie augmenter de pas moins de 40% ! La méthionine, dérivé du pétrole, est très utilisée dans l'alimentation animale et peut se retrouver dans les légumineuses, viandes, œufs, poissons, oignons, ail, soja, produits laitiers...

Une autre arme de l'éleveur: la sélection. Une étude a été menée avec des femelles Sprague-Dawley exposées à un haut risque de tumeurs mammaires ou hypophysaires. Il a été constaté que les femelles atteintes de néophobie (peur de l'inconnu, au comportement peu exploratoire) ont vu leur progéniture vivre en moyenne 6 mois de moins que la progéniture des femelles atteintes de néophilie (curiosité face à l'inconnu, comportement exploratoire). Il a été aussi constaté que les tumeurs mammaires bénignes ou malignes sont apparues plus tôt chez les femelles atteintes de néophobie.

Ainsi, la prolactine, l’œstrogène, la progestérone et éventuellement la corticostérone créent un lien entre le tempérament du rat juvénile avec l'apparition de maladies néoplasiques à l'âge adulte.

Sources:

"The effect of retarded growth upon the length of life span and upon the ultimate body size" par l'Animal Nutrition Laboratory, Cornell University, Ithaca

"Experimental demonstration of the growth rate–lifespan trade-off" par Who-Seung Lee , Pat Monaghan et Neil B. Metcalfe

"Assessment of Growth Parameters and Life Span of GHR/BP Gene-Disrupted Mice" par Karen T. Coschigano, David Clemmons, Linda L. Bellush, et John J. Kopchick

"Growth versus lifespan: perspectives from evolutionary ecology" par Neil B. Metcalfe et Pat Monaghan

"Slow-Aging Mice" par le National Institute on Aging, Ellison Medical Foundation, Glenn Foundation for Medical Research

"Infant temperament predicts life span in female rats that develop spontaneous tumors"

2ndchance.info/ratlover par Ron Hines (DVM PhD)

"Atrophie et recuperation musculaire chez le rat âge immobilisé : rôle de la nutrition" par Hugues Magne

Growth of laboratory-reared ship rats ( Rattus rattusL.)