Evolutions dues à la domestication du rat

Pourquoi le rat a t-il été domestiqué ?

C'est au XIXe siècle en Europe qu'a eu lieu la domestication du rat.

Tout commence par un jeu très populaire nommé "rat baiting": le but du jeu est de lancer un chien dans une arène et de le chronométrer tandis qu'il doit tuer tous les rats présents. C'est un ratier nommé Billy qui établira le record en avril 1823: 100 rats tués en 5 minutes et demi. Londres seule comprenait plus de 70 fosses à rat et le jeu comptait de nombreux parieurs et spectateurs. Il fut même à la mode de posséder un descendant de Billy et l'un d'entre eux fut acheté une fortune par l'ambassadeur d'Autriche (1500£ soit plus de 1700 euros).

La loi de 1835 contre la cruauté envers les animaux fit une exception pour le "rat baiting" et le jeu continua jusqu'au milieu du règne de la reine Victoria lorsque l'opinion publique se détourna du "rat baiting"... non pas à cause de la cruauté infligée aux rats mais pour le bien des chiens ! Le dernier instigateur de ce jeu fut arrêté en 1912.

Cependant, pour "fournir" les promotteurs de "rat baiting" en rongeurs, la capture ne suffisait rapidement plus et des élevages s'étaient organisés. Les premières bases de la domestication étaient posées. On pense que c'est la découverte d'individus albinos qui auraient incité à la création des premiers élevages d'agrément.

Le noir apparut, ainsi que le Hooded. En 1880, Crampe étudiera l'élevage de rats et prendra des notes sur ses découvertes. Plus tard, le docteur Donaldson exportera certains de ces rats domestiques en Amérique où sera fondée la lignée de laboratoire Wistar.

Évolutions biologiques issues de la domestication

C'est Donaldson (1929) qui a le premier noté des différences biologiques entre ses souches de rats domestiques et sauvages. En comparant les poids de ses rats issus de la 1e génération domestiquée et ses rats issus de la 25e génération domestiquée, il a pu remarquer que les rats étaient 20% plus lourds chez les deux sexes. Cette augmentation a été attribuée en premier lieu à une mutation génétique ou des changements endocrines plutôt qu'aux effets du changement d'environnement.

La fertilité des rats a aussi augmenté de manière significative: les portées sont passées d'une moyenne de 3 à 5 bébés à la génération 1° à 10 à 18 bébés à la génération 19°.

Évolutions phénotypiques issues de la domestication

La raison principale pour laquelle de nouveaux types de rats ont été recherchés (différentes couleurs, différents marquages) pourrait trouver son explication dans les théories de Keeler. Ce dernier a suggéré que les individus de couleur noire avaient un tempérament plus doux et supportaient mieux la manipulation et la captivité que les individus de type sauvage (agouti).

Les "lignées mutantes" comme Keeler les appelle, ont donc été largement privilégiées. Ainsi, le noir fut la première couleur obtenue (si l'on excepte l'albinos qui n'est pas une couleur) et le Hooded le premier marquage.

C'est lors des expériences du Dr. King dans les années 1930 que de nouveaux types sont apparus, dans son stock de rats sauvages captifs: lors de la 17e génération, le Rex fait son apparition ("Curly") et lors de la 22e génération le "brown" qui est responsable des couleurs cannelle et chocolat. Castle (1907) avait déja découvert sur des rats sauvages originaires d'Angleterre les mutations PED et RED et un RED fit son apparition inopinément dans les stocks de rats de laboratoire de l'Institut Wistar en 1923. Ce sont Castle et Wright qui ont démontré que les types PED et RED sont liés l'un avec l'autre. Plus tard, Castle, Dunn et Wachter prouveront qu'ils se trouvent sur la même paire de chromosomes que l'albinisme.

En 1924, Roberts rapporte l'existence du type nu dans les lignées de laboratoire et en 1929 apparaît la couleur bleu.

Gregory et Blunn (1935) découvrent l'existence d'une seconde mutation Rex dominante qu'ils nomment "Curly2", distincte de "Curly" et située sur une paire de chromosomes différente.

Grruneberg rapporte l'existence d'un allèle létal causant un squelette anormal porté par le chromosome albinos.

Tableau récapitulatif:

Évolutions intellectuelles issues de la domestication

Les théories de Stone (1932) et Robinson (1965) supposaient que la domestication engendrait une dégénérescence et une baisse probable de la capacité d'apprentissage. De ce fait, les lignées sauvages auraient une compétence d'apprentissage naturelle plus élevée.

C'est Boice qui permit de démentir ces théories, grâce à son étude menée sur des rats sauvages capturés et testés un jour un plus tard, des rats sauvages capturés et testés 3 mois plus tard, des rats nés de couples sauvages et élevés en laboratoire et des rats de laboratoire domestiques Sprague-Dawley.

En testant ces différents rats, il a pu constater que la domestication n'a pas causé de diminution dans la capacité d'apprentissage chez le rat.

De plus, les capacités de construction de terriers de rats domestiques Sprague-Dawley ont été comparées à celles de rats sauvages, dans des conditions naturelles. En termes de mesures, de configuration ou de développement, les terriers des deux groupes furent indistinguables l'un de l'autre. Il semble que ce soit un comportement avec une composante génétique forte. Même lors des conditions climatiques extrêmes, les rats domestiques Sprague-Dawley ont maintenu une population stable durant 2 ans dans leur terrier.

Enfin, notons que des rats de laboratoire libérés dans un environnement semi-sauvage ont rapidement exprimé des comportements de rats sauvages.

Le "syndrome de domestication"

Les traits issus de la domestication sont appelés "syndrome de domestication". La nature et l'origine du "syndrome de domestication" serait liée au développement des cellules de la crête neurale. Les cellules de la crête neurale sont des cellules souches spécifiques à la classe des vertébrés qui apparaissent en premier lieu lors de l'embryogenèse. Elles migrent ventralement dans tout le corps, précurseurs de nombreux types cellulaires et tissulaires dans l'organisme.

Le développement des traits du "syndrome de domestication" aurait une base commune dans le fait que tous les tissus affectés seraient dérivés de la crête neurale ou influencés dans leur développement par la crête neurale.

Les phénotypes caractéristiques du "syndrome de domestication" (comme par exemple des zones de dépigmentation blanches dans la fourrure) montrent dans les parties du corps relativement éloignées des sites de création des cellules de la crête neurale (extrémité des membres, queue, ligne médiane du ventre...) des probabilités affaiblies que les cellules atteignent ces sites avec le nombre requis. Cela entraîne des neurocristopathies, c'est-à-dire des affections dues à des malformations de la crête neurale.

Nous pouvons noter par exemple le gène de la crête neurale sox10 responsable du mégacôlon chez le rat ou le gène Tcof1 qui pourrait être responsable des oreilles dumbo.

Pour résumer, cela signifierait que le mégacôlon, maladie mortelle chez le rat et à forte hérédité, serait unique au rat domestique. Le rat sauvage lui ne serait potentiellement pas touché !

Les analyses de Keeler sur la domestication via le gène noir: vraies ou fausses ?

En 1942, Keeler et King ont étudié les rats sauvages agouti en comparaison à ceux portant la couleur noire dans une population de 125 rats issus d'un croisement de rats albinos de laboratoire avec des rats sauvages. Il est apparu selon ces analyses qu'un gène pléiotrope déterminait à la fois la couleur et le tempérament des rats. Autrement dit, les rats noirs étaient plus facilement domesticables que les rats agouti.

Cependant, une autre étude menée dans des conditions plus drastiques est venue invalider les thèses de Keeler et King. Menée avec des rats domestiques albinos, Hooded et noirs en comparaison avec des rats sauvages agouti, noirs et noirs nés et élevés en laboratoire (de couples de rats noirs sauvages directs), elle a évalué le comportement et les paramètres physiologiques des deux groupes. Il en a résulté que les rats noirs sauvages capturés vivants ne diffèrent en rien des rats agouti sauvages, et ne diffèrent pas plus des rats noirs élevés en laboratoire.

Les rats noir sauvages ont contrasté avec les rats noirs domestiques qui eux-mêmes étaient indistinguables des albinos. Le gène noir a donc été clairement représenté dans deux phénotypes distincts dont la seule variable apparente était la domestication.

Sources:

"The domestication of the rat", par W.E. Castle

"The association of the black (non-agouti) gene with behavior" par Clyde E. Keeler

"On the origin of domesticity: a test of Keeler's "Black-gene" hypothesis"

Vetsonline: "Dog days of rat catching"

"Effect of domestication on avoidance learning in the Norway rat" par Robert Boice

"The “Domestication Syndrome” in Mammals: A Unified Explanation Based on Neural Crest Cell Behavior and Genetics"

"Burrows of wild and albino rats: Effects of domestication, outdoor raising, age, experience, and maternal state" par R. Boice