Barret de Lioure - Février 1944

Auteur : Robert Pinel 

A partir d’un document de Pierre Bonvallet, consultable au Musée 39-45 de Fontaine-de-Vaucluse.

 (Reproduction limitée et interdite sans indications de l’origine.)

L’état-major du Maquis Ventoux et l’arrivée des Allemands

le 21 février 1944 à Séderon

Philippe Beyne et Félix Aubert (sont le matin) à Buis-!es-Baronnies, puis se rendent à Séderon, …au domicile de Kléber Espieu, (vers)15 heures.

Ils retrouvent...Bruno Razzoli, responsable militaire du camp d'Izon, Albert Felzner de la 1ère Section…

Vers 15 heures 30, Roger Louis, arrive depuis Gordes à bicyclette. Il informe ses compagnons des graves événements s'étant produits le 17 février.

Ce jour-là, la Gestapo avec l'aide de la Feldgendarmerie a effectué une série d'arrestations…depuis Apt, jusqu'à Robion, dix-sept résistants ont été capturés.

          Cette rafle est la conséquence d'une infiltration réussie par un agent de la Gestapo, Pierre Terrier (*)...

Trente minutes plus tard, un appel téléphonique du garagiste Lattard, installé à Montbrun-les-Bains, est reçu…: « Des charrettes viennent de passer, elles ne sont pas de chez nous. » Quelques minutes plus tard, deuxième appel téléphonique, cette fois, en clair (de Barret-de-Lioure, ndrp), signalant le passage de deux voitures extrêmement suspectes.

Philippe Beyne ordonne à F. A. et B. R. de se rendre au carrefour situé à environ un kilomètre de l'entrée du village, là où se rejoignent la N.542 venant de Montbrun les Bains et la N.546 menant à Sisteron. Mission : Observer la direction prise par les deux véhicules. Après une longue et vaine attente, F. A. et B. R. reviennent dire à Philippe Beyne, qu'ils n'ont rien vu.

Que s'est-il donc passé ? Nous le savons grâce à…A. G. …Cet homme habitant Barret-de-Lioure était venu à pied dans la journée à Séderon. Retournant chez lui, de la même manière, il avait été contrôlé au col de Macuègne par des hommes armés, dont les deux véhicules bloquaient la route. Justifiant de son  identité et de son domicile, A. G. avait pu poursuivre son chemin.

         En avance sur son temps de marche, le commando ennemi attendait l'heure H, 18 heures, pour entrer dans Séderon. (nous sommes en   février, à l’heure de Berlin, donc il fait nuit  ndrp)

…L'ordre d'action prévoyait l'entrée du groupe Feldmann (division Brandebourg  ndrp) dans Séderon à 17 heures, composé d'une douzaine de gestapistes et d'auxiliaires français et celle du détachement de feldgendarmes venus de Digne et Sisteron à 21 heures. Une trentaine d'hommes.

Puis il est apparu évident que le commando de la Gestapo ne pouvait à lui seul contrôler la localité durant quatre heures D'où la nécessité de synchroniser l'arrivée à Séderon des deux groupes, l’intervention en commun étant retardée d'une heure. Les choses ne se passeront pas ainsi, puisque les feldgendarmes ne seront présents à Séderon que très tard dans la nuit…à la Poste, un policier allemand …a eu un entretien téléphonique orageux avec la hiérarchie des feldgendarmes (*)…’’

(*) Les Feldgendarmerietrupp 882-958 basées à Digne et Sisteron sont intervenues à Séderon, certainement à la suite d'une décision prise à un niveau élevé, car il ne s'agissait pas de leur zone de compétence. Dans les Basses Alpes (Alpes de Haute Provence) cette formation n'exerce quasiment plus son rôle traditionnel de prévôté de la Wehrmacht, pour être constamment engagée contre la Résistance active et nombreuse dans ce département. Cette zone dépend du Kdr SIPO-SD basé à Nice.       

        (*) NDRP : Informations suivantes retrouvées grâce aux travaux du Professeur Jean-Marie Guillon et de M. Francis Barbe

TERRIER Pierre Etienne Jean Marie

« Faits et Causes »,  pages 248-249  ‘’c’est lui qui infiltre le secteur de Séderon du Maquis Ventoux : il crée ainsi les conditions du massacre de trente-cinq résistants à Eygalayes et Izon-la-Bruisse.’’ Né le 18 novembre 1921 à Monaco.  Fils de Raymond, policier et de Mathilde. N’est pas indiqué membre de la Brandebourg. 

Le gendarme GAMONET assassiné par la Gestapo devant l’église de Séderon

Jean-Roger GAMONET est un jeune gendarme arrivé à la Brigade de Séderon à l’automne 1943. Il est ardéchois, né en 1913. Il est à la brigade avec son épouse. Ils n’ont pas d’enfant.

Est-ce parce qu’il est protestant qu’il est révolté contre le régime de Pétain ? Ce n’est certainement pas sans relation.

A Séderon il s’engage auprès de la Résistance et notamment du Maquis d’Izon-la-Bruisse qu’il connait parfaitement. Il vient souvent leur rendre visite. Il se lie d’amitié avec l’abbé ROUX, du même  âge, qui jouera un rôle immense dans le premier acte de Mémoire des 35 martyrs du 22 février 1944.

Gamonet participe le 24 ou le 25 décembre au repas de Noël, avec la 1ère section du lieutenant Mistral, à l’école d’Izon-la-Bruisse. A ce repas, en présence de Philippe Beyne, participe aussi l’espion NOIRET. C’est sans aucun doute ce dernier, revêtu d’une cagoule, qui désigne Gamonet aux hommes de la Gestapo le mardi 22 vers 12 heures dans la gendarmerie.

Chaque année, le même jour que la commémoration officielle du massacre du Maquis d’Izon-la-Bruisse, une autre cérémonie a lieu devant l’ancienne gendarmerie, sous les fenêtres de son logement. C’’est ‘’Mémoire Résistance HB’’ qui a suggéré ce lieu à partir de 2014, pour donner à cette autre tragédie l’importance méritée.

Notre album a consacré plusieurs pages à Jean-Roger GAMONET, pages 134 à 139.

 


Le 22 février 1944 à Valaury-de-Barret

«En marge de l'opération principale, l'ennemi entreprit une action à Valaury-de-Barret (près de Col du Négron, encore sur le territoire de la commune de Barret-de-Lioure), situé à une vingtaine de kilomètres du camp d'Izon-la-Bruisse, au cours de laquelle quatre hommes détachés de leurs sections furent capturés.

A l'époque, pour les hommes du Maquis Ventoux, Valaury, c'était la ferme Jasses, du nom du couple qui l'habitait. Quelques anciens se souviennent avec affection de Thérèse Jasses, qui pour eux était  "La Marquise"….

Nourriture, cantonnement provisoire, relais d'acheminement des recrues, dépôt de carburant, la ferme Jasses, c'était la Résistance. Un lieu parmi quelques autres indispensables au Maquis Ventoux, sans lesquels il n'aurait pu subsister, ni se développer. Gaston et Thérèse Jasses, modestes fermiers, quoiqu'il leur en ait coûté ont apporté aux "jeunes" toute l'aide possible.

La propriété appartenait au père de Gaston Jasses, inspecteur des Eaux et Forêts, résidant à Montélimar et qui avait  développé le bûcheronnage car les besoins en bois de chauffage et pour fabriquer le charbon de bois étaient devenus très importants…à Valaury…les chênes et les fayards ne manquaient pas.

La loi du 16 Février 1943, instituant le S.T.O voit arriver à la ferme Jasses de jeunes réfractaires. Ils n'appartiennent à aucun mouvement organisé et ils sont acceptés pourvu qu'ils travaillent aux coupes de bois. Dur labeur, froid, neige,  solitude font que la plupart n'y résistent pas longtemps et s'en vont vers un destin improbable. Un peu plus tard, seuls les hommes du Maquis Ventoux, affectés sur ordre, soumis à une hiérarchie, formeront une bonne équipe…

Au mois de février 1944, les cinq hommes détachés de leurs sections pour le "Stage Canadien" étaient : Lucien Bougrenet-de-la-Tocnaye, André Hommage, Bernard Richard, Jean Sideri, Emile Saniard…

Il est bien évident que la nature même de leurs occupations fait que les hommes ne gardent pas leurs armes à portée de la main. Tout au contraire, elles sont dissimulées çà et là dans la ferme…Hommage a pris l'habitude de placer son revolver, la nuit dans son couchage.

 A la mi-février, la neige tombée en abondance rend les hommes inactifs. Impossible de couper le bois, de le préparer et plus encore de l'acheminer.

Bernard Richard et Emile Saniard demandent…trois jours de permission pour se rendre dans leurs familles…à Aubignan, Emile Saniard retrouve chez lui, l'un de ses enfants et son épouse, malades…Emile Saniard sera encore chez lui le 22 Février 1944 et c'est d'Albin Durand de Sarrians (*) qu'il apprendra la nouvelle de l'opération allemande…

         Le  22  février 1944

 …Il est cinq heures du matin à Valaury…où dorment…les quatre hommes du Maquis Ventoux…Cinq heures, car Thérèse a regardé son réveil après avoir été réveillée par les aboiements de son chien. La chose est assez rare pour qu'elle se soit levée, vaguement inquiète, prêter une oreille attentive. Le chien ayant enfin cessé son vacarme, Thérèse s'est remise au lit, quand soudain quelqu'un frappe fort au portail. Sitôt debout, ayant ouvert un volet, elle entend son voisin, A. B. lui dire : "Madame Jasses, on vous demande"….elle descend ouvrir…Cinq hommes en vêtements civils, les armes à la main, encadrent A. B..

"Vous avez des maquis ici ?" "Non, il y a des bûcherons"…

Les quatre maquisards sont réveillés, le canon d'un pistolet posé sur la tempe...Non, ils ne sont pas des maquis, mais des réfractaires, de simples réfractaires sans armes et qui  ont imposé leur présence à cette femme qui vit seule ici. Des coups accompagnent d'autres questions plus insidieuses. Rien à faire !

Des réfractaires, rien que des réfractaires …

Qui étaient ces hommes ? Miliciens ou gestapistes ? Je (Pierre Bonvallet ndrp) n'ai recueilli aucun renseignement probant à leur sujet. Des gens de la région en tout cas. Leur accent, des expressions en langue provençale ne laissent aucun doute. L'un d'entre eux gardera toute la journée un passe-montagne si bien ajusté que même l'expression de son regard ne pouvait être saisie. Certainement un triste sire des environs assez informé pour savoir qu'Albert Bonnefoy  pouvait servir d’appât…L'après-midi est longue à attendre on ne sait quoi…Il y a déjà plus de dix heures que cette bande a investi les lieux.

 Soudain, vers 17 heures, un brouhaha. Thérèse voit un groupe important de soldats Allemands hilares s'approcher. Sauts de joie,              grandes tapes dans le dos.

  Izon  fini !

Ces soldats qui portent une plaque d'acier gravée sur la poitrine sont les feldgendarmes des unités 882 et 958q qui ont été chargés d'établir des barrages routiers et de verrouiller Séderon pendant l'attaque du camp d’Izon. De retour vers leurs cantonnements à bord de trois camions qu'ils ont laissés sur la route, ils s'arrêtent… Thérèse…a estimé qu'il y avait là une trentaine d'hommes…

Il fait nuit quand les quatre hommes…, menottés deux par deux sont entraînés vers les camions. Prisonniers des Feldgendarmes, ils doivent à cette circonstance de ne pas avoir été exécutés sur place comme leurs camarades à Izon. La Feldgendarmerie c'est la prévôté de la Wehrmacht. En principe, ce qui ne veut pas dire que ce soit toujours exact, elle ne se livre pas aux exécutions sommaires de ses prisonniers.

Arrivés à Digne, à l'hôtel de l'Ermitage (ils) sont aussitôt interrogés Leur système de défense ne varie pas. Des réfractaires. Pas des maquis…une Française élégante et maniérée vient les voir. Elle leur parle gentiment. C'est si facile de dire la vérité, de ne pas cacher ce qu'ils savent alors toutes leurs misères cesseront…

Il leur est impossible de croire à la mansuétude de leur ennemi.

Ils vont rester trois jours à Digne avant d'être transférés à Nice…vont rester environ un mois. Beaucoup de prisonniers sont là et il est visible que le service est débordé…vont  ensuite à la prison des Beaumettes à Marseille dans l'attente de leur déportation en Allemagne. Au début du mois d'Avril 1944, les quatre hommes sont embarqués dans un train de la mort. Les deux plus solides, les deux costauds, André Hommage et Bernard Richard ont respectivement survécu aux horreurs du Struthof et de Neuengamme. Pesant chacun, 35 kg ils se sont retrouvés à Maubeuge, lors de leur rapatriement.»

(*) qui sera assassiné par les SS en août 44.

de-BOUGRENET-de-la-TOCNAYE Louis  Jean Marie Aimé, dit Lucien TREVILLE était né le 10 avril 1922 à Ferrière-la-Grande, Nord.

Il habitait dans le Var, à La Garde, depuis 1924.

En 1941-1942, étudiant, il a déjà des contacts avec la Résistance dans le Var. Il répond à la convocation du service obligatoire dans les Chantiers de Jeunesse. Il y arrive, à Vaison-la-Romaine (Vaucluse) le 29 mars 1943. Le 30 avril il effectue un stage au Château de Montsoux, près de Nyons.

Il quitte le Chantier de Jeunesse pour rejoindre le Maquis Ventoux, en passant par Buis les Baronnies. Le 10 mai 1943 est la date retenue pour son appartenance aux Forces Françaises de l’Intérieur, avec le grade de sergent-chef.

Son affectation principale est «agent de liaison» à la 1ère section à l’école d’Izon-la-Bruisse d’où il sera détaché pur aller faire un ‘’stage canadien’’ à la Ferme de Valaury. Le 4 juin 1944, il est déporté de Compiègne avec ses compagnons, pour Hambourg. Il est affecté au Kommando Hannover-Misburg. Il revient par la suite à Neuengamme, où les documents officiels indique ’’évacué sur Ravensbrück’’. Il disparaît. Selon des témoignages d’autres détenus, le 27 ou 28 avril 1945, il a été vu pour la dernière fois lors du transfert des détenus vers d’autres lieux, lesquels ? Les détenus étaient rassemblés dans la cour d’appel. Les nazis faisaient un tri entre ceux qui partiraient par camion et qui partiraient à pied.

Louis, selon un témoignage, avait bon moral, pressentant comme beaucoup une libération proche. Il est resté sur place, son camarade partant par camion. Selon le registre de la Déportation, il serait mort le 20 avril 1945. Le camp de Ravensbrück a été libéré le 30 avril 1945 par les Soviétiques.

Les recherches entreprises par la famille, dès mai 1945 et toujours poursuivies auprès des autorités civiles et militaires françaises et étrangères, n’ont apporté aucun autre renseignement. Le Tribunal de Grande Instance de Toulon l’a déclaré ‘’disparu’’ par jugement au début des années 2000..

A titre posthume, il a reçu la Médaille de la Résistance, la Médaille Militaire et la Croix de Guerre avec palme.

De BOUGRENET appartenait à une vieille famille française d’extrême-droite et toujours d’extrême droite. Un descendant a été un des deux cerveaux de l’attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle, et un autre est toujours Conseiller Régional PACA.

Depuis 2010, les noms de SiDERI  et BOUGRENET, sont appelés lors de la cérémonie officielle au Mémorial d’Eygalayes. ‘’Mémoire Résistance HB’’ veille au petit monument érigé par les anciens du Maquis Ventoux et tient une cérémonie tous les cinq ans.

Le ‘’petite’’ sœur de de BOUGRENET, était adhérente à ‘’Mémoire Résistance HB’’ jusqu’à son récent décès à 102 ans. Elle m’avait très cordialement reçu en 2012 à La Garde. Elle m’a encore appelé peu après ses 100 ans.

Jean Thérèsus SIDERI était né le 21 septembre 1920 à St-Martin-du-Var (Alpes-Maritimes). Il habitait Avignon où il était ‘’garçon de café’’. Il a rejoint le Maquis Ventoux ) à une date inconnue, probablement au cours de l’année 1943, pour échapper au STO. Il est déporté avec ses trois autres camarades à Neuengamme. Il est décédé en Allemagne à une date inconnue.Nous n’avons pas retrouvé la famille.

Voir notre album pages 179-182


Les trois morts de Barret de Lioure

«En début de l'après-midi du 22 février 1944, l'ennemi évacue Séderon…Les hommes du SIPO-SD, les légionnaires Brandebourgeois…prennent la direction du Vaucluse, tandis que les Feldgendarmes partent pour leurs garnisons de Digne et Sisteron…

A Barret-de-Lioure, à ce moment-là, on ne sait pas exactement ce qu'il s'est passé à Séderon et à Izon, sinon quelque chose de grave. Chacun dans la petite bourgade reste sur ses gardes, sauf trois jeunes gens, Marcel Blanc, Raymond Bardoin, Albert Gauthier qui sacrifient à une vieille tradition en parcourant le pays, pour aller chez les uns et les autres, afin d'obtenir gracieusement des provisions, des friandises et du vin…la coutume veut que la jeunesse se réunisse pour fêter joyeusement le Mardi-Gras.

De son côté, l'ennemi qui regagne ses bases reste aux aguets, les armes prêtes au feu. les véhicules ont dépassé Barret de Lioure quand leurs occupants aperçoivent les trois jeunes gens.

Les circonstances de leur mort restent mal connues et le resteront à jamais. Selon les uns, les trois malheureux auraient tenté de se dissimuler sous un pont, selon d'autres, ils auraient détalé. Quoiqu'il en soit, ils ont été abattus sans rémission.

Il est probable que s'ils étaient restés immobiles au bord de la route, attendant d'être contrôlés et de pouvoir justifier de leurs résidences, ils n'auraient pas été inquiétés, mais en tentant de se cacher ou de fuir, ils signaient là, comme un aveu de culpabilité, alors qu'ils n'avaient aucun lien avec la Résistance.

Tel n'a pas été l'avis de l'officier (allemand, lieutenant Greve, ndrp) rédacteur du compte-rendu d'opération, qui a compté les trois morts de Barret-de-Lioure parmi les pertes humaines infligées au Maquis Ventoux. »

Ce que Pierre Bonvallet n’a pas su c’est que les deux morts sur place ont eu droit au titre de ‘’Morts pour la France’’ mais pas celui mort quelques heures après, chez lui.

Tous les cinq ans, ‘’Mémoire Résistance HB’’, avec la municipalité,  fleurit leur stèle en bordure de route entre Barret-de-Lioure et Montbrun-les-Bains.