Par Christophe Buffet Avocat spécialiste en droit immobilier et droit public

Christophe BUFFET Avocat

Le marché à forfait, qu'est-ce que c'est ?

Le marché à forfait peut être défini en référence à l'article 1793 du code civil qui est ainsi rédigé :

Lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.

L'idée générale qui domine la notion de marché à forfait est que l'entrepreneur ne peut réclamer au titre du prix plus que ce qui a été convenu contractuellement avec son client, le maître d'ouvrage.

C'est ce que dit expressément l'article 1793 du Code civil.

Le contentieux porte précisément, le plus souvent, sur ce point précis du paiement de travaux supplémentaires ou d'une demande de paiement excédant ce qui a été prévu initialement.

Il y a lieu de préciser que la notion de marché à forfait n'est pas applicable dans les relations entre une entreprise principale et son sous-traitant.

Quels sont les ouvrages auxquels s'appliquent la notion de marché à forfait ?

Le marché a forfait ne s'applique que dans le cas de la construction d'un bâtiment. Il a été jugé que l'article 1793 du Code civil ne s'applique pas à la réalisation d'aménagements intérieurs. De même il ne s'applique pas, de façon anecdotique, à un bassin pour orques.

Il ne s'applique pas non plus à une piscine.

Il s'appliquera à tous travaux nécessitant l'adaptation et la modification du gros oeuvre.

Il s'est appliqué à des travaux d'installation électrique dans un hôtel en construction :

Que signifie l'impossibilité de réclamer un supplément de prix ?

L'article 1793 du code civil prévoit expressément que l'entrepreneur ne peut réclamer aucune augmentation de prix si cette augmentation de prix n'a pas été autorisé par écrit et le prix convenu avec le propriétaire, c'est-à-dire avec le maître d'ouvrage, son client.

Il est admis toutefois que l'autorisation préalable peut être remplacée par une acceptation expresse et non équivoque du client, donnée après réalisation des travaux :

"Vu l'article 1793 du Code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 26 octobre 1998), que, selon devis accepté du 25 mars 1990, M. X... s'est engagé à construire, pour le compte de M. Y..., une maison d'habitation selon un plan précis, moyennant un prix global ; qu'alléguant avoir exécuté des travaux supplémentaires, il a assigné en paiement le maître de l'ouvrage ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le devis du 29 juillet 1991 concerne des travaux d'agrandissement de la terrasse qui n'étaient pas prévus dans le devis initial, qu'il en est de même des équipements facturés en sus, tels que les sanitaires, les revêtements en marbre ou la menuiserie en double vitrage, équipements plus luxueux choisis par M. Y..., entraînant un surcoût par rapport aux équipements prévus, que M. Y... ne peut soutenir qu'il n'a pas autorisé expressément ou approuvé certains travaux supplémentaires dès lors qu'il résulte des pièces produites et de la nature des travaux que ceux-ci ont été expressément commandés par lui ou qu'ils procédaient de son libre choix, et que les travaux de la terrasse, en raison de leur nature, n'ont pu échapper à l'attention du maître de l'ouvrage, ni être effectués sans son autorisation, d'autant qu'il a signé sans réserve précise le procès-verbal de réception, alors qu'il occupait les lieux depuis plus de 2 ans ;
Qu'en statuant ainsi, sans relever que les modifications demandées avaient entraîné un bouleversement de l'économie du contrat et par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser, à défaut d'une autorisation écrite préalable aux travaux, l'acceptation expresse et non équivoque par le maître de l'ouvrage de ces travaux une fois effectués, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Un accord verbal est insuffisant et peut d'ailleurs difficilement être approuvé.

Une erreur de calcul peut-elle conduire à une augmentation du prix forfaitaire ?

Non, cela ne peut être admis.

De même, le manque de prévision à l'entrepreneur ne permet pas de réviser le prix :

"Vu l'article 1793 du Code civil ;
Attendu que lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire ;
Attendu selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 décembre 1995), que la société d'économie mixte locale Gazost (SEM Gazost), maître de l'ouvrage, a, par marché à forfait du 21 mai 1992, chargé la société Commenges, depuis en redressement judiciaire, de la reprise et de la finition des travaux de construction d'une centrale électrique ; qu'alléguant la mauvaise qualité du sol ayant nécessité l'exécution de travaux supplémentaires, cet entrepreneur a assigné en paiement de ceux-ci le maître de l'ouvrage ; qu'une expertise a été ordonnée ;
Attendu que pour accueillir la demande de la société Commenges, l'arrêt retient que les obstacles qu'elle a rencontrés et la situation imprévisible qui s'est présentée à elle ont constitué des facteurs l'obligeant à modifier les travaux initialement envisagés ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le manque de prévision de l'entrepreneur n'était pas de nature à entraîner la modification du caractère forfaitaire du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé."

Il importe peu que cela conduise à un enrichissement du client.

Le bouleversement de l'économie du contrat peut-il conduire à une augmentation du prix ?

Oui.

"Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 1793 du même Code ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 octobre 1994), que la société Compagnie générale des matières nucléaires (société Cogema) a, en mars 1977, chargé la compagnie Générale de travaux et d'installations électriques (société GTIE) de divers travaux, le marché stipulant qu'il était conclu à prix global et forfaitaire ; que des travaux supplémentaires ont été commandés et exécutés ; que, n'ayant pu obtenir la révision et l'actualisation du marché et des avenants, la société GTIE a assigné le maître de l'ouvrage ;
Attendu que, pour rejeter les demandes de la société GTIE tendant à la révision du prix du marché et au paiement d'un complément sur les intérêts de retard, l'arrêt retient que le fait que le volume initial des travaux, d'un montant de 8 250 000 francs, soit très inférieur à celui de la réalisation finale d'un montant de 15 731 074 francs, ne saurait, pour cette seule raison, constituer un bouleversement de l'économie du contrat faisant perdre au marché son caractère forfaitaire ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés."
"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bourges, 17 mai 2000), rendu sur renvoi après cassation (Civ.3, 20 janvier 1999.B n° 16 et 13 avril 1999, n° 840), que la société IMHOTEP, maître de l'ouvrage, ayant entrepris la construction d'une clinique, a chargé, respectivement, MM. X..., architecte, et Y..., conducteur de travaux, de la maîtrise d'oeuvre de conception et d'exécution suivant contrats prévoyant des honoraires forfaitaires ; qu'alléguant des fautes dans l'exécution, la surveillance et la réception des travaux, la société IMHOTEP a assigné en remboursement de trop-perçus MM. X... et Y..., qui ont formé des demandes reconventionnelles en paiement de soldes d'honoraires pour travaux supplémentaires ;
Attendu que la société IMHOTEP fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande et d'accueillir les demandes reconventionnelles, alors, selon le moyen :
1 / que lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire ;
que le marché perd son caractère forfaitaire dès lors qu'il est constaté que des modifications, décidées par le maître de l'ouvrage, ont entraîné un bouleversement de l'économie du contrat ; qu'en se bornant, néanmoins, pour décider que l'économie du contrat avait été bouleversée et que le marché avait ainsi perdu son caractère forfaitaire, à relever "l'importance des travaux supplémentaires sortant de l'ordinaire et qui n'étaient pas inclus dans le marché initial" ainsi que la "nécessité de la délivrance d'un permis de construire modificatif", sans indiquer en quoi l'économie du marché aurait ainsi été bouleversée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1793 du Code civil ;
2 / que le juge est tenu de respecter les limites du litige, telles qu'elles sont déterminées par les conclusions respectives des parties ; que MM. X... et Y... se bornaient à soutenir que les travaux supplémentaires avaient fait l'objet de factures d'honoraires qui n'avaient donné lieu à aucune contestation de la part de la société IMHOTEP par rapport à un montant forfaitairement défini ; qu'en décidant néanmoins que les travaux supplémentaires avaient fait l'objet d'avenants au marché principal, acceptés et signés par le docteur Z..., la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 7 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, il ne peut demander aucune augmentation de prix, si celle-ci n'a pas été expressément acceptée par le propriétaire ; qu'en se bornant néanmoins à énoncer que les travaux complémentaires commandés en cours de réalisation avaient fait l'objet d'avenants au marché principal acceptés et signés par le docteur Z..., sans constater que le maître de l'ouvrage avait donné son accord sur le prix, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1793 du Code civil ;
4 / qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si MM. X... et Y... avaient manqué à leur obligation de conseil à l'égard de la société IMHOTEP, en s'abstenant d'informer celle-ci sur le coût des modifications envisagées, ce qui lui avait causé un préjudice et ce qui justifiait le rejet des demandes de MM. X... et Y... en paiement d'honoraires complémentaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que les travaux portant sur l'étude et l'aménagement de la radiologie, de la kinésithérapie, balnéothérapie et gymnase, la création de l'entrée des urgences et d'une "relistation", non inclus dans le marché initial et voulus par le maître de l'ouvrage, qui savait à quoi il s'engageait puisque ces modifications avaient fait l'objet d'études graphiques et estimatives, concrétisées par des avenants au marché principal et d'un permis de construire modificatif, dont la demande avait été signée par son gérant, représentaient une surface hors d'oeuvre de 953 mètres carrés, soit 148 mètres carrés et 20 % en plus, pour un supplément de marché de travaux, non contestés par la société IMHOTEP, de 5 773 856 francs 64 hors taxe, soit 26,45 % en plus, la cour d'appel, qui a retenu, par ces seuls motifs, sans modifier l'objet du litige et sans être tenue de procéder à la recherche d'un préjudice justifiant le rejet des demandes d'honoraires qui ne lui était pas demandée ou que ses constatations rendaient inopérantes, que ces modifications avaient entraîné un bouleversement de l'économie du contrat et que les compléments d'honoraires demandés par les maîtres d'oeuvre étaient donc dus, a légalement justifié sa décision de ce chef."

Le Marché perd-il son caractère forfaitaire si de nombreuses modifications y ont été apportées ?

Oui .

"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 27 janvier 1993), qu'en 1985, la société Loft C2, depuis en redressement judiciaire, qui avait décidé la transformation de bâtiments anciens en centre sportif, a chargé M. X..., architecte, d'une mission de maîtrise d'oeuvre et a conclu des marchés séparés avec plusieurs entrepreneurs, dont la société Gouillon-Giroud, chargée du gros oeuvre, la société Debrun, chargée des menuiseries et la société Ulti-Service, qui a posé les revêtements de sol ; que la société Loft C2, soutenant que les marchés conclus étaient forfaitaires, a refusé de payer les soldes réclamés et, invoquant des désordres et des retards, a assigné les locateurs d'ouvrage en réparation ;
Attendu que la société Loft C2 fait grief à l'arrêt de dire que les marchés ne sont pas forfaitaires et de la condamner à payer diverses sommes aux entrepreneurs, alors, selon le moyen, que les juges du fond ne peuvent, pour condamner le maître de l'ouvrage à payer à un entrepreneur une somme supérieure à celle forfaitairement fixée en paiement de travaux supplémentaires, sans constater que les modifications demandées avaient entraîné un bouleversement de l'économie du contrat, sans relever, à défaut d'une autorisation écrite du maître de l'ouvrage de tous ces travaux, et sans rechercher si le maître d'oeuvre avait reçu mandat à cet effet ; qu'il résulte des termes même du jugement, dont les motifs ont été expressément adoptés, que les parties étaient convenues d'un prix ferme et forfaitaire et qu'il avait également expressément été prévu que la modification du volume des travaux ou du prix nécessitait une commande écrite du maître de l'ouvrage ; que si les juges du fond avaient relevé que les modifications qui sont intervenues l'avaient été soit à la demande de la société Loft C2, soit à celle du maître d'oeuvre, ils ont eux-mêmes relevé que, pour aucune de ces modifications, il n'a été établi d'écrit ; qu'ainsi, il ne pouvait aucunement être établi que les commandes avaient été effectivement passées par le maître de l'ouvrage ; que, dans ces conditions, en jugeant que le contrat avait perdu sa qualité de marché à forfait, tout en constatant l'absence de commande écrite des modifications, bien que l'écrit fût une condition nécessaire de l'admission d'une modification du prix aux termes des contrats conclus par les parties et de l'article 1793 du Code civil, la cour d'appel a violé ce texte par refus d'application, ensemble l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que de nombreuses modifications avaient été apportées aux marchés initiaux, que ni les plans originaires ni les descriptifs annexés aux marchés n'avaient été respectés, que le volume et la nature des prestations fournies par chaque entrepreneur avaient été modifiés de façon considérable en cours d'exécution des travaux et que ces modifications avaient été voulues par le maître de l'ouvrage, la cour d'appel en a exactement déduit que le bouleversement de l'économie de tous les contrats avait fait perdre aux marchés leur caractère forfaitaire."

Si les travaux sont commandés, distincts de ceux du marché, doivent-ils être payés ?

Oui.

Les travaux indispensables à la sécurité doivent-ils être inclus dans le forfait ou être payés en supplément ?

Il a été jugé que pour des gardes corps qui sont indispensables à la sécurité de l'immeuble, ils doivent être intégrés dans le marché forfaitaire initial et non pas être payés en supplément :

"Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 24 mars 2004), la SCI Les Collines de Bregille, maître d'ouvrage, a chargé la société Entreprise Invernizzi de la réalisation d'un ouvrage composé de trois bâtiments, tous corps d'état, selon marché à forfait ; que la livraison étant intervenue avec retard, la société Entreprise Invernizzi a assigné la SCI Collines de Bregille en paiement du prix de travaux supplémentaires ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant constaté que le retard dans la livraison était de dix mois, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la SCI Les Collines de Bregille dans le détail de son argumentation, a souverainement imputé au maître d'ouvrage la moitié de ce retard et limité le montant des pénalités dues par la société Entreprise Invernizzi à la moitié du montant réclamé par la SCI Les Collines de Bregille ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article 1793 du Code civil ;
Attendu que pour condamner le maître d'ouvrage à payer à l'entrepreneur lié par un marché à forfait, une certaine somme au titre du prix de travaux supplémentaires, l'arrêt retient que les garde-corps n'étaient pas prévus au marché et ne pouvaient pas être intégrés au marché à forfait, que leur pose avait été rendue nécessaire par le bureau de contrôle pour des raisons de sécurité et de mise en conformité de la construction, de sorte que leur règlement était dû par le maître d'ouvrage ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les garde-corps indispensables à la sécurité de l'immeuble devait être intégrés dans le marché forfaitaire initial, la cour d'appel a violé le texte susvisé."