Nous ajouterons, à l’excuse des voyages, qu’ils sont splendides une fois finis.
Et instructifs.
Ils nous apprennent qu’il n’y a pas besoin d’aller en Chine quand on a un voisin de palier. Il suffit de frapper à son huis. L’exotisme commence avec son tapis-brosse.
Si vous êtes encore plus curieux, sonnez à votre propre porte à un moment où vous ne vous y attendez pas, venez vous ouvrir et pénétrez à l’improviste en marchant sur la pointe des pieds.
(La Montagne – 17 avril 1962)
Une mer de sirop lèche la plage ; on peut s’y promener à la nage pendant des heures, en parlant de choses et d’autres, comme autrefois sur le Boulevard Saint-Michel.
L’homme se repose, étendu sur le sable : « Lève-toi enfin, dit une mère de famille, lève-toi, c’est l’heure d’aller se coucher. »
(Chronique des fleurs du feu et du serpent des neiges – la Montagne – 23 juillet 1963)
On dit que la terre est ronde. Mais c’est une plaisanterie.
Il n’y a d’ailleurs qu’à la regarder. Elle est couverte de bosses, de cicatrices, de gros furoncles, toute mal cuite et toute mal fichue ; ravinée de crevasses, de rides de creux, de sillons, percée de trous comme un gruyère.
Des trous pleins d’eau.
C’est ce qui permet de prendre des vacances. Si la terre était ronde, il n’y aurait pas de vacances. L’homme ne pourrait plus se reposer. Les vacances le jettent en effet, à pleines poignées, à la surface du globe. Grâce aux trous et aux bosses, les uns tombent dans les trous et les autres s’accrochent aux bosses.
Ceux qui tombent dans les trous, tels que la mer de Chine ou la mer Méditerranée, le lac Servière et la Loire inférieure, se mettent à nager vigoureusement pour échapper à la noyade. D’abord les bras, ensuite les jambes. Une, deux : une, deux.
Et ainsi de suite. Bien en cadence.
On dirait des grenouilles.
C’est très joli à voir.
(La Montagne – 4 août 1964)
Ceux qui tombent sur les pics se cramponnent tant qu’ils peuvent.
Ils s’accrochent avec de grands clous, ils s’élèvent avec des ficelles. Ils compliquent savamment le travail. Ils choisissent le côté de l’à-pic. Ils s’écrasent au fond des abîmes.
Mais les plus sages montent en pente douce, de l’autre côté.
Les enfants, les vieillards, les femmes, l’unijambiste. Ils jouissent de la vue. Ils transpirent légèrement. Ils s’essuient le front avec un mouchoir à carreaux. Ils regardent avec des jumelles. Ils voient le voleur qui entre chez eux, par la fenêtre, pour aller voler leur stylo.
Demain, ils sauront le dénoncer.
A mi-pente, ils boivent à l’auberge. Ils mangent des choses très nourrissantes, pleines de vitamines B et de ferments lactiques. De gros lapins « sautés chasseur » dépouillés de leur peau à la cuisine par une vieille dame, de grands fromages ronds avec des étiquettes en rouge, bien crémeux et bien élastiques ; des légumes bien dépuratifs, des salades, des yaourts et des pâtés de cerf.
Ils chantent en chœur et ils brandissent des saucissons.
L’écho renvoie leurs voix joyeuses.
(La Montagne – 4 août 1964)
La Hollande est parmi les plaines les plus célèbres. Elle se situe dix mètres au-dessous du niveau de la mer, si bien que les épaves qui, partout, viennent d’en bas à la marée haute, tombent ici sur la plage de dix mètres de haut, menaçant la vie des promeneurs.
C’est pourquoi il est interdit au large des côtes de Hollande, de jeter des bouteilles à la mer.
Derrière les digues habitent de vieux hommes étonnés habillés en poupées de bazar, et des jeunes filles vêtues de costumes folkloriques avec toutes sortes de dorures, notamment des oeillères en cuivre. Ils ont des visages ronds, des yeux bleus et naïfs et habitent des moulins à vent d’où ils sortent à bicyclette pour parcourir des champs de tulipes. Les meuniers ont dix-neuf enfants qui tiennent difficilement dans l’enceinte du moulin et dont plusieurs dépassent plus ou moins par les fenêtres.
Les Hollandais peignent leurs fromages au ripolin et les lavent tous les soirs à la lance d’arrosage avec le reste du magasin. Le « Comte des Digues », personnage important, se promène constamment sur les digues et bouche les trous avec du mastic.
Sans ce travail de fourmi, la Hollande, en une heure, ne serait plus qu’un fond de mer plein de pieuvres et de poissons-chats. Les habitants se réfugieraient sur les clochers. Le zèle des comtes de digues a permis, au contraire, à des artistes comme Rembrandt de produire une œuvre complète sans jamais s’être mouillé les pieds.
(La Montagne – 14 juillet 1968)
En revanche il n’y a plus en Hollande que trois cent vingt huit moulins à vent. Où va-t-on mettre les enfants des meuniers ?
J’ai habité trois semaines, à La Haye, juste en face d’un moulin à vent. Le moulin à vent allait trop vite. Le meunier avait dix-neuf enfants. Ils dépassaient par les lucarnes, il y en avait dont un morceau sortait par la porte d’entrée, d’autres qui étaient pris dans l’engrenage, c’était un spectacle effrayant. Le meunier les empilait de son mieux, en plaçant les plus gros dans le fond et en appuyant sur le toit, avec les genoux, mais il en dépassait quand même. La mère, fort heureusement, était à l’hôpital, elle n’aurait pas tenu dans le moulin ; mais il y avait les fiancées des aînés, avec les amis des fiancées, et quand tout le monde prenait le café au rez-de-chaussée, les mouvements de foule cassaient des tasses. On marchait sur du verre pilé.
Que fera la Hollande sans moulin. Où logera-t-elle les enfants des meuniers ?
(Chronique du rien et même du presque rien – La Montagne – 20 mars 1962)