Timbre-poste

Cette chronique qui a pour but de refléter le beau, a beaucoup trop négligé jusqu’ici de refléter le timbre poste. C’est pourtant lui qui donne le portrait le plus sûr de la quatrième république.

Le timbre-poste est au confluent non pas du vrai, du beau, du bien, mais de l’inutile, du poétique et de l’obligation postale. Il est inutile comme le beau, il est poétique comme le songe, le chiffre et la spéculation. On n’a pas encore pu trouver à quoi il sert exactement : les uns le collent sur des cartes postales, d’autres sur des albums ; d’autres encore l’exposent, d’autres le fourrent en vrac dans des enveloppes jaunies, d’autres le vendent au kilo. On est allé jusqu’à penser qu’il guérit la tuberculose ; des enfants ornés de drapeaux et de médailles de carton habilement retenues par des épingles à des ficelles de pâtissier en proposent qui atteindraient ce but. Peut-être en fait on des tisanes.

Bref la situation reste obscure, le timbre-poste inexpliqué.

On ne sait jusqu’où ira le timbre.

En dernière heure, on le veut imaginaire ; ce sont collections de poète, de fantôme ou d’historien fou, aventures de séries vertes.

Le monde est aux ordres du timbre : l’Imprimerie Nationale d’Autriche vient de livrer à l’Amérique, sur une commande de la firme Stolow qui avait fait éditer les timbres de Corée, quarante-cinq séries de timbres-poste de la République de Maloukow (Moluques du Sud) que les collectionneurs s’arrachent.

Et ce qu’il y a de plus beau dans cette histoire, c’est que l’Etat de Maloukow n’a jamais existé.

On va être obligé de créer cet Etat pour justifier ces timbres-poste. Autrefois l’Etat faisait les timbres : maintenant le timbre fait les Etats.

Nouvelle Nouvelle Revue Française, 1er mai 1955