Terre
La Terre est en forme de poire.
Je viens de l’apprendre par les journaux ; qui l’avaient appris de Pamplemousse. Mais je m’en doutais depuis quelque temps. Je ne pouvais plus caler ma chaise. C’était la poire ! Une chaise qui tient sur une pomme ne peut tenir sur une poire. Les pieds de derrière n’étaient pas assez longs ; ils portaient sur le creux de la poire.
Ce sont des aventures effrayantes. On aime bien que les journaux en donnent l’explication. On voit par là que la Terre ne cesse de changer de forme. Il faut la surveiller comme le lait sur le feu. Comment adapter le mobilier à des changements aussi fréquents, aussi rapides ?
On l’a d’abord crue plate, ensuite on l’a dite ronde, sur quoi on lui a aplati le pôle et on lui a renflé l’équateur ; elle s’est vue ellipsoïdale ; là-dessus on en a fait une pomme de terre nouvelle. Et maintenant c’est une poire.
Que nous réserve l’avenir ? Où nous mènent les savants ? Faut-il les laisser faire ? Comment calculer le point, en mer, sur une terre en forme de poire, fût-elle de Bési ou même de bon-chrétien ?
Autrefois, on visait rapidement les étoiles, on mesurait les angles d’un triangle, on prenait la racine carrée, on la secouait avec un logarithme et on avait un résultat précis. Ou approché. Ou vraisemblable. Généralement on découvrait qu’on était sur l’eau. Maintenant on se trouve n’importe où. « Saluez, Messieurs, dit l’amiral, nous sommes juste au milieu de la cathédrale de Chartres. » Une fois là-dedans, comment sortir ? Surtout les cuirassés !
C’est la faute de la poire.
Et de quel côté se trouve la pointe ? En haut ? En bas ? C’est selon les journaux.
Que fait l’homme sur le ventre de cette poire ? Et parfois même sur la convexité ?
Il essaie de caler sa chaise.
(L’histoire et la géographie – La Montagne – 3 février 1959)