Ce qui était royal, c’était son rire. […]
Car son rire ne lui ressemblait pas, du moins se le figurait-on la première fois qu’on l’entendait. Parce qu’elle avait l’air d’un maigre adolescent, on s’attendait à un rire âpre, aigu, ou même méchant, ou ironique tout le moins, qui eût senti, comme ses mains, la lavande et le chlore. Et c’était tout le contraire. Il s’épanouissait comme des grappes de lilas, et quand il éclatait en plein c’était comme un jardin de juin, de pivoines, de roses, de fleurs rouges, avec des timbres d’instruments, dorés, ambrés, des cuivres et des cordes, un carillon et un reposoir de Fête-Dieu, un rire de reine, je ne sais comment dire. Si bien que son corps de plante grimpante, son menton de chat, ses yeux de félin, tout ce qu’il y avait en elle de pâle et d’anguleux, son regard vert, son teint d’aquarelle, n’avaient plus l’air que de l’alibi de la femme inattendue qui se cachait en elle, - et qui devait être la vraie, car le rire est une chose sérieuse – et que l’harmonie du tout rappelait celle d’une eau verte qui reflète le grand soleil. […]
Et son rire, au milieu de cet océan vert, était comme une île de corail.
(Les fruits du Congo)
Tout est ridicule, Mademoiselle, je le suis, vous l’êtes, excusez-moi, c’est la rançon de la condition humaine. Je le suis, vous l’êtes, nous le sommes tous, et surtout ceux qui ont peur de l’être. Leur humour s’arrête à eux-mêmes. Ils se moquent des autres et se respectent infiniment. Expliquez-moi pourquoi, je n’en sais rien. Ils se privent ! On ne fait valoir quelque chose qu’en passant par le ridicule (essayez seulement d’apprendre l’anglais ou le chinois !). Mais une fois qu’on l’a bien admis, alors comme on en profite !
Tout est trop beau !
(Camille et les grands hommes)
On en arrive dès lors à penser que l’esprit le moins dupe, et le plus courageux, et le plus sage, est celui qui se livre à l’occupation la plus certainement frivole, comme de faire danser un ours, ou de s’attacher une plume de coq au derrière.
Car plus une occupation est frivole, plus sûrement elle est humaine et intelligente et brave, car elle ne permet aucune espèce d’illusion à celui qui s’y livre.
Telle est la leçon de la Frivolité Supérieure. On me reprochera l’égoïsme de cette conception ; on me dira que le savant est utile, sans doute ; mais je voudrais d’abord être sûr que l’altruisme est supérieur chez lui au plaisir du jeu.
Le baladin n’est pas égoïste, il donne sa joie à pleins paniers.
(Les baladins de la Frivolité Supérieure)
Peut-être aussi ai-je tort de me prendre si au sérieux. C’est en prenant récréation de soi-même qu’on fait les choses les plus ailées, que le poisson-bœuf peut devenir poisson-volant.
(Lettre à Ferny Besson du 17 décembre 1950)