Il y a peu de chose à dire du reste de la France.
Il est formé de grands espaces vides autour des ruines d’un château fort, sortes de déserts naturels où l’absence de l’homme, du caniche, du chat du lapin domestique angoisse le cœur.
Le silence est tel qu’il arrive quelquefois qu’on entende tictaquer une montre à une distance inappréciable. En se dirigeant sur le bruit on découvre un notaire dans une grande maison vide ; un berger sur un escabeau, et parfois le greffier d’un ancien tribunal, désaffecté depuis cent ans.
Ils ne se sont pas aperçus que tout le monde était parti. Le poisson rouge continue à tourner autour du jet d’eau du notaire, la guêpe autour du compotier ; la salle à manger sent la pêche, le couloir est dallé de larges pierres, le papier peint représente la chasse au tigre, l’escalier de bois est humain ; tout témoigne en ces vieilles demeures que l’homme, à une certaine époque, connut la joie d’un être civilisé.
(La Montagne – 8 septembre 1959)
Voici la méditerranée, voici cette noble et magnifique personne étendue le long de ses plages avec ses colliers de perles et son buste de cantatrice, ses langueurs d’Italienne, ses colères de diva ; voici ses flots, qui sont sirupeux, voici ses vins, qui sont liquoreux ; voilà son soleil qui vous brûle, et ses palmiers faits comme des éventails.
Quand on vient d’Alsace (ou d’Auvergne) où l’eau des lacs vous porte à peine, où les vins pâles, fluides comme un éther, sont des enfants du clair de lune, c’est un boudoir dont le parfum vous étouffe.
Et puis, soudain, le vent qui souffle de la mer vous colle les cheveux, vous sale la peau, et vous oblige à regarder vers le large. Il n’y a plus que l’horizon, ses miroitements de mica, ses falaises, son train bleu et ses caps qui ricochent.
Et on sent que l’homme ne vit que de vains soucis.
(La Montagne – 31 août 1965)
Le dauphinois descend du chamois. C'est-à-dire qu’il monte sur les montagnes.
Le Mont Aiguille, pourtant, le défia longtemps. Il en acquit le nom de Mont Inaccessible. Seules les fées y venaient pour faire sécher leur linge ; et le retirer avant que le soleil l’eût brûlé (ces fées du Dauphine sont obsédées de lessives ; elles n’ont jamais traité l’Isère qu’en buanderie).
A voir ce Mont Inaccessible, au seuil de Clelle, muraille, rempart, monolithe, obélisque, presse-papier de trois mille mètres, plus étroit du bas que du haut, on se rendait compte immédiatement que c’était un veto de la montagne, une interdiction de monter.
Pourtant on y grimpa. Des officiers du roi. De Charles VIII. En 1492.
En 1492, Colomb découvrait l’Amérique. Les Dauphinois voulurent découvrir quelque chose. Ils découvrirent le sommet du Mont Aiguille. Sur l’ordre de leur roi. Ils le prirent en hommes d’armes, avec des échelles de sièges, comme on prenait les châteaux forts.
Ils y trouvèrent des chamois, des fleurs de lis et des corneilles à pieds rouges
(La Montagne – 25 décembre 1956)
On m’a reproché beaucoup (c’est du moins à souhaiter) d’avoir exagéré l’altitude du puy de Dôme dans un ouvrage sur la Massif central (je lui ai donné 100 mètres de trop). Il y a la quelque ingratitude. La mariée n’est jamais trop belle. Voila longtemps que le puy de Dôme était trop petit.
Je ne plaiderai pas l’incompétence, qui est pourtant la meilleure excuse. Je soupçonne, au contraire, mes critiques de n’être jamais montés au puy de Dôme. S’ils l’avaient fait à bicyclette, comme je le fis, pendant deux ans, trois à quatre fois par semaine, ils se seraient bien vite aperçus qu’il est beaucoup plus haut qu’on ne le pense. (En revanche, à la descente, il est beaucoup plus petit. Il faut établir une moyenne. Elle reste très supérieure au chiffre machinal de nos géographies.)
(…)
Encore est-ce voir les choses matérialistement. Il est, pour les montagnards, une altitude morale. Le puy de Dôme, moralement, est bien plus haut que lui-même. Historiquement, le puy de Dôme est plus grand que le mont Blanc. Où alors, que fait-on d’Astérix, de Gergovie, de Vercingétorix ? Ils valent bien Guillaume Tell. Ce qui n’empêche pas les Suisses de regarder le puy de Dôme de très haut. N’hésitons pas à lui donner mille ou deux mille mètres de plus. Il faut impressionner les Suisses. Nous aurons pour nous la morale et le commerce y gagnera.
(…)
Quand à moi, je mourrai satisfait, ayant doté le pays de mes aïeux de la plus haute de ses montagnes.
(La Montagne – 30 avril 1967)