Pédalo

Le pédalo est un trône à pédales, et parfois même à frein sur jante, qui distingue l’homme du XXème siècle des Romains de l’Antiquité. Le pédalo permet au penseur de réaliser son double rêve : ressembler à Louis XIV en même temps qu’à Louison Bobet. (…)

Le plaisir d’être auvergnant consiste, le dimanche, à faire du pédalo sur les lacs de cratère.

Emporté comme en songe sur le miroir des eaux dans un fauteuil de fer ripoliné en blanc dont le couvercle peut se rabattre, l’homme glisse alors à la surface de l’onde, aérien comme la libellule, va, vient, revient, en égratigne la surface et passe au loin comme un papillon blanc.

(La Montagne – 3 juin 1958)



Le mois d’août est le vrai mois du pédalo.

C’est grâce au pédalo que l’homme glisse sur les eaux comme le cygne de Sully Prudhomme. Il veut des couples assortis dont il exige la majesté du buste et la célérité des membres inférieurs. Il convient aux caissières qui sont belles par le haut, et à certaines veuves, un peu fortes, d’officiers supérieurs ou de commerçants aisés.

La femme sera royale et l’homme présidentiel. On peut mettre ses décorations.

Le thorax doit être pompeux, l’abdomen assez important, la barbe paraît essentielle. Le haut-de-forme étant démodé, il vaudra mieux aller tête nue ; mais le melon, si l’on veut, sera noir.

Le sourire doit rester naturel et la conversation mondaine.

La règle d’or est que la tête et la nuque, le thorax, le geste des bras restent toujours dans l’ignorance de l’immense frénésie des membres inférieurs.

(Almanach Marie-Claire, août 1964)

Quel homme que l’homme ! Il a fallu qu’il invente ça ! Toutes ces casseroles à astiquer. Etonnez-vous de son épuisement !

On voit par là qu’il ne meurt pas, il se tue.

S’il ne se tue pas, il meurt quand même. Son sort est triste.

Heureusement, un rien l’en distrait. Tandis que sa vaste pensée, derrière son vaste front, en haut de sa vaste tête, sur son buste majestueux, a l’air de méditer sur son âme immortelle, ses pieds actionnent frénétiquement la manivelle d’un pédalo.

Ce pédalo, constate Pascal, lui cache la mort.

(La Montagne – 12 juillet 1960)

Le soleil favorise les sports, notamment le pédalo sans lequel l’homme ignorerait la possibilité de préserver la majesté du buste au sein de l’agitation désordonnée des jambes et de la rotation dissymétrique des cuisses, et de se montrer frivole en restant solennel.

Aussi la mer, dans le voisinage des côtes, est-elle sillonnée tous les ans par un grand nombre d’hommes barbus au torse gras qui glissent à la surface de l’eau, impassibles du haut et frénétiques du bas, l’effleurant de la pointe des pieds, et la couvrant d’une étonnante population de rois de pique et de rois de carreau agitée d’un mouvement brownien particulièrement scientifique quand on le photographie d’avion.

(Le soleil – Antiquité du grand chosier)