Nouveauté

Nous ne vivons que par curiosité ; nous sommes passionnés de choses nouvelles.

C’est ainsi que l’homme s’est fatigué de revenir du même bureau tous les soirs à 6 heures 50 pour arroser la même pelouse avec la même lance d’arrosage au bout du même caoutchouc rouge.

Que demande-t-il ? Autre chose ; du nouveau. Que lui faut-il ? Un idéal, à la mesure de son âme immortelle. Qu’exige-t-il donc au bout de vingt ans du même bureau, de la même pelouse et du même caoutchouc rouge ?

Il exige du caoutchouc vert.

(La Montagne – 22 juillet 1958)

J’ajouterai, puisque cette chronique est celle de la civilisation, que les savants ont réussi à produire des poulets sans plumes ; sauf quatre duvets sous le croupion qui disparaissent à l’âge adulte ; autant ne pas en faire mention.

Les ménagères n’auront plus besoin de plumer les poules.

Après quoi les savants produiront l’homme sans cheveux (à l’usage des cannibales), la femme sans tête, et le poulet qui naît tout cuit avec garniture de champignons.

De progrès en progrès, ils arriveront à faire pousser un poulet avec plumes qui aura plus chaud, et dont la chair sera donc meilleure.

Qui n’en voit l’avantage ? Le poulet naissant cru, sans garniture de champignons, on le préparera comme on voudra.

Et de la plume on fera des oreillers ; et des édredons en eider.

(La Montagne – 23 juillet 1957)

Nous avons une façon frivole de nous servir des chasses d’eau. Nous en tirons la poignée de céramique avec une froide indifférence. Est ce le trait d’une espèce pensante ? L’homme profond se demande qui inventa la chasse d’eau. D’une main il tire, de l’autre il pense ; l’homme profond est profond en toute chose. Et que se répond-il ? Il se répond à tort que la chasse d’eau a dû être inventée par quelque anglais à casquette plate de l’époque des premiers chemins de fer, car le confort moderne, en sa superstition, est chose d’origine anglaise, de date relativement récente et de vocabulaire britannique.

(La Montagne – 22 février1955)

On brise tout parce qu'on veut faire neuf. On a donc l'illusion de pouvoir tout remplacer. Mais ce n'est pas vrai pour cent raisons. Ne fût-ce que pour celle-ci, qu'avec de la vitesse on fait tout sauf de la lenteur. Et par exemple on perd son temps beaucoup plus vite. Avec de la lenteur on perd son temps lentement ; donc moins. Une civilisation qui se prive de la lenteur n'est pas dans le sens de la nature. On essaie d'y revenir par des voies détournées, on n'y arrive pas, on a perdu le génie du lent : pour prendre un exemple entre mille, la poubelle à pédale ne remplace pas le vélo. Je connais bien la question, ma belle-fille en a une. J'ai essayé, c'est très décevant. Même sur de très faibles distances. »

(La Montagne -1962)