Mères
Le phénomène de la maternité, si scientifique qu’il soit devenu grâce aux immenses progrès de la sexologie, remonte à la plus haute antiquité.
Les mères datent de la nuit des temps.
Elles ont même précédé la civilisation. Leur importance ne saurait être exagérée. Des briques chaldéennes en font mention, des papyrus égyptiens nous en parlent.
Que seraient devenus les hommes s’ils n’avaient pas eu de mères ? L’humanité se composerait d’orphelins.
Recueillis par l’Assistance publique, ils se promèneraient par deux, le jeudi, en longues files, sur des routes mouillées, sous la surveillance tatillonne d’une vieille sœur un peu moustachue. Avec interdiction de fumer. Honteux de leur barbe, de leur ventre, de leur cinquante ans, de leur calvitie. Coiffés d’un béret basque et vêtus d’une capote de couleur bleu marine avec des boutons d’or.
(La Montagne – 31 mai 1970)
La fête des mères se prépare en cachette. L’enfant conspire, l’adulte s’attendrit, la télévision donne des idées. Le 31 arrive, c’est le grand jour.
L’enfant offre à sa mère mille babioles étonnantes, des pointes Bic, des manoirs bretons, des pyjamas à décolleté en « coup de poignard », des machines à laver, de la mayonnaise en tube, des statues en plomb du président Roosevelt ou des Trois Mousquetaires qu’on trouve dans les paquets de café, parfois même le buste en plastique de Victor Hugo.
La mère pousse des cris d’étonnement, des exclamations d’allégresse et serre ses enfants sur son cœur.
Elle fait cuire le gigot encore plus que d’habitude. L’oncle Emile arrive de banlieue : il apporte un vacherin dans une boîte en carton et une bouteille de vin champagnisé. Il distribue aux enfants ravis des toupies volantes, des lapins mécaniques et des autos en bakélite dont le coffre s’ouvre sur le devant. Le père attaque la boîte de harengs de la Baltique avec la clef universelle, s’arrache la main, finit avec des tenailles.
Les enfants s’amusent énormément.
(Almanach des quatre saisons – Almanach de mai)