Méditerranée
Voici la méditerranée, voici cette noble et magnifique personne étendue le long de ses plages avec ses colliers de perles et son buste de cantatrice, ses langueurs d’Italienne, ses colères de diva ; voici ses flots, qui sont sirupeux, voici ses vins, qui sont liquoreux ; voilà son soleil qui vous brûle, et ses palmiers faits comme des éventails.
Quand on vient d’Alsace (ou d’Auvergne) où l’eau des lacs vous porte à peine, où les vins pâles, fluides comme un éther, sont des enfants du clair de lune, c’est un boudoir dont le parfum vous étouffe.
Et puis, soudain, le vent qui souffle de la mer vous colle les cheveux, vous sale la peau, et vous oblige à regarder vers le large. Il n’y a plus que l’horizon, ses miroitements de mica, ses falaises, son train bleu et ses caps qui ricochent.
Et on sent que l’homme ne vit que de vains soucis.
(La Montagne – 31 août 1965)
Une mer de sirop lèche la plage. Ricochés jusqu’à l’horizon, jusqu’à la limite du visible, jusqu’à n’être plus qu’une vapeur, les caps majestueux trempent leur pied dans l’eau bleue.
Des maisons d’une blancheur usée, des viaducs, mille œuvres de l’homme, anciennes, déteintes, se mêlent à leur végétation, comme sur une tapisserie passée (…)
A la Provence qui rêve au sommet de sa falaise, les hommes d’affaire ont ajouté la Côte d’Azur. Avec ses plages et ses hôtels, ses casinos, ses appareils à sous. Un boulevard commercial qui court tout le long de la Côte, une banque d’exploitation du site.
La Provence fournit le clair de lune, la Côte d’Azur le fait payer.
(Spectacle du Monde n° 29 – Août 1964)
Il n’est rien de si frivole que Nice avec son collier de perles autour de la baie des Anges quand les lumières sont allumées, et son air d’avoir fait fortune dans la galanterie tapageuse du temps du président Loubet.
Ses hôtels rouges ressemblent au Théâtre-Guignol et ses ruelles rappellent à tel point l’Italie que leur ombre sent la prison autrichienne. On y attend l’aigle bicéphale et l’araignée de Silvio Pellico.
Où trouverait-on ailleurs des maisons aux tuiles d’or, plus ornées de déesses que l’Olympe, plus coiffées de bulbes qu’une église russe, plus fleuries de tourelles qu’un château de Robida ? Une population de papillons y bat des ailes au bord de la mer : de vieux messieurs vêtus de chaussures de tennis, de panamas et de barbes en pointe (comme les professeurs de sixième et les chasseurs de lion de mon enfance) y saluent les seules dames d’Europe qui portent, à la suite d’un vœu, le chapeau à plumes et le corset à baleines qu’elles avaient en 1904, le jour de la mort de leur fiancé. D’autres mettent des turbans à fleurs et des molletières écarlates…
Telles les mœurs des papillons niçois.
(Chronique des papillons – la Montagne – 21 avril 1959)
Par la fenêtre on voit au loin les fers de lance des cyprès noirs se détacher sur la falaise blanche. (Blanche est un mot grossier. Grise, compliquée de mica, d’albâtre éblouissant et de lumière usée.)
Car c’est ici la civilisation de l’olive, de l’huile, du vin, de la poussière, de la mouche, de la sandale et du moustique, de la terre cuite et du forum. De l’éloquence, des tribuns à belle barbe.
Une civilisation qui est morte avec Jaurès. Exténuée de perfection, de poésie, d’expérience, de mariage d’amour avec le sol. Elle avait inventé, à force de sagesse, et d’adaptation au climat, ces « persiennes à l’italienne » qui s’ouvrent de trente-six façons pour régler la lumière et la température, le courant d’air, l’angle du jour, la mortalité du moustique et la vitalité humaine.
Des barbares arrivés du Nord ont apporté la maison de verre. (Prétentieusement !...)
Les ustensiles de kermesse succèdent aux instruments de la civilisation.
(Chronique des fleurs du feu et du serpent de mer – La Montagne – 23 juillet 2013)
Le cap parle grec et la maison parle latin, le palmier parle arabe, le cactus mexicain.
Une végétation baroque enfouit sous son délire aztèque la vieille villa aux arcs romains et l’entoure de dieux grimaçants.
(Chronique des fleurs du feu et du serpent de mer – La Montagne – 23 juillet 2013)
La Côte d’Azur fait partie de l’homme ; elle constitue son climat naturel.
Non que je veuille dire du mal du Nord, de la brume et des chasseurs à pied, des sapins noirs, de la neige, de l’arbre de Noël, du loup et de la cuisine flamande.
Mais, ailleurs qu’au bord des mers tièdes, il faut que l’homme se fasse lui-même ses paradis. Il faut qu’il fasse pour exister ; dans le Midi, pour exister, l’homme n’a qu’à être.
Trois olives et un verre de rouge lui suffisent au pied d’un chêne vert. Il peut ne vivre que pour lui-même et se contenter de recevoir sans donner.
Du moins en gros. Ce sont évidemment des choses qu’il ne faut pas dire à l’hôtelier. Mais nous parlons dans l’absolu, dans l’espace poétique des choses.
(Chronique des choses humaines et des lunes orangées – La Montagne – 13 avril 1965)