Manège
L’homme est devenu cosmique. Il se sent entraîné par la giration des étoiles. Il tourne autour d’axes invisibles. Toutes les douze heures, à cheval sur l’équateur, il se retrouve à vol d’oiseau à plus de 12 500 kilomètres de lui-même.
Le grabataire, le paralytique, ne font pas moins de 40 000 kilomètres par jour. Et du seul fait de la rotation terrestre. Sans compter qu’ils tournent aussi autour de la sphère du Soleil. Et autour d’eux tourne la Lune.
L’homme vit donc gratuitement sur un manège forain.
(La terre et l’homme – Antiquité du grand chosier)
Voilà pourtant à quoi se résume la vie humaine.
À un toboggan de fête foraine, au Grand Huit, à une course en sac. Le vieillard le plus délabré, le notaire le plus solennel, la mère de famille la plus digne tournent comme un cheval de bois peint entre la Lyre et la Grande Ourse dans les ténèbres constellées ; je dis la jeune fille la plus pâle, l’unijambiste le plus timide, le bébé le plus constipé. L’homme le plus sédentaire se déplace en moyenne, à mi-chemin de l’équateur et du pôle, à huit cent kilomètres à l’heure, et meurt dans l’espace infini à des milliers de millions de kilomètres de l’endroit où il était né.
(Les évènements de novembre – La Montagne – 15 novembre 1960)