Lune

"La Lune a beaucoup plus d’importance que le Soleil qui n’éclaire les hommes que le jour. [...] C’est à Meudon qu’on la voit le mieux. Les meilleures cartes de la Lune ont été dressées à Meudon. Peut-être à Meudon a-t-on des greniers plus élevés, qui rapprochent les observateurs, peut-être l’air est-il plus pur, peut-être aussi les astronomes ont-ils plus de chaises ou plus de jardins pour y monter sur des chaises de jardin ? Peut-être aussi y a-t-il plus de vocations ? Certaines provinces font des marins, d’autres des mineurs, d’autres des horlogers. Meudon fait des regardeurs de Lune."

(La Montagne - 22 septembre 1968)

Cette nuit, lundi 21 juillet, tandis que dormaient la plupart des Français, deux petits hommes sont descendus sur la lune par une échelle. Ils ont tâté le sol du bout du pied, comme une baigneuse qui craint l’eau froide. La lune était blanche comme la neige, les ombres longues comme au soleil couchant.

Lourds et légers dans leurs scaphandres, ils avaient l’air de Tintin et Milou. Ils se sont livrés à de petites occupations. Ils ont planté un petit drapeau et distribué des objets sur le sol. Ils ont ramassé un caillou rouge.

Le président de la République des Etats-Unis leur a téléphoné des choses vraies et flatteuses avec une grande absence d’emphase. Ils lui ont fait le salut militaire.

Et désormais, le monde n’est plus le même. Toutes ses proportions ont changé. La terre est devenue toute petite. Maintenant ils attendent leur fusée, pour revenir, comme on attend l’autobus 21 au coin de la rue de la Glacière.

Rien n’est pareil. Il a suffi, pour changer le monde, de cette espèce de bande dessinée.

(La Montagne – 27 juillet 1969)

La nuit, amère et magnifique, parée de feux comme un grand paquebot, tend ses filets aux enfants chimériques

(Le cri du canard bleu)

La lune est comme un blanc d’ongle : une sultane a dû se faire les mains et jeter ça au hasard du ciel. Il y a deux étoiles, des cyprès. Et une espèce de rose du côté du soleil, de pourpre, de saumon, je ne sais pas le définir.

(Lettre à Ferny Besson du 19 janvier 1964)

La Lune a beaucoup plus d’importance que le Soleil qui n’éclaire les hommes que le jour. Elle les éclaire la nuit, ce qui est beaucoup plus utile. C’est grâce à elle qu’on peut retrouver au fond des bois les épingles trombones et les pièces de 10 francs qu’on perd dans les forêts profondes. Et aussi les pièces de 20 francs. Et les épingles de nourrice.

Que ferait l’homme sans la lune ? Il chercherait son chemin, et la mer n’aurait plus de marée. Il ne pourrait plus pêcher de moules à marée basse. Il n’y aurait plus d’assassins de la pleine lune. Une bonne moitié des poèmes élégiaques disparaîtrait de la littérature, et le tiers des proverbes bantous.

Ce serait une grande désolation. L’ivrogne ne saurait plus comment rentrer chez lui. Le chien n’aboierait plus à la lune.

(La Montagne – 22 septembre 1968)

Ce matin, au-dessus du col, l’aube se levait, ou mieux se promettait, glacée, lisse, jaune, contagieuse, de cime en cime, et de l’autre côté une vieille lune plate, cabossée, jaune aussi, ronde comme un vieux balancier de pendule, faite à la main avec les traces du marteau, comme les plateaux de cuivre des souks.

(Où sont-ils ?)