Juchée en haut de son rocher inconfortable, la Loreley fait sombrer les bateaux rien qu’en se peignant avec son peigne d’or. Le pilote, distrait, séduit, intimidé, ravi par cette apparition, ne peut plus détourner ses regards de cette reine du démêloir.
Il lâche son gouvernail et sombre les yeux ronds, comme un petit garçon qui trébuche devant l’affiche de la lotion Dop.
C’est la grande vamp des légendes germaniques, la pin up girl n°1 de tout le romantisme rhénan. Il n’est d’enfant qui n’ait chanté la sorcière blonde, touriste qui ne l’ait cherchée ;
Elle a fait la fortune de l’hôtellerie rhénane.
On montre son rocher, on numérote ses crimes.
(La Montagne - 21 février 1956)
On dit qu’il est sur un rocher, au milieu du Rhin, une dame blonde qui peigne ses cheveux si adroitement que les capitaines des bateaux-mouches, intimidés par un tel tour de force, en lâchent leur pipe et le gouvernail. Ils sombrent dans le fleuve où les sœurs de cette dame leur font mener pour toute l’éternité une vie de danses folkloriques et de chansons plaintives.
(Les fruits du Congo)
Femme : Elle est très belle et ne saurait descendre du singe. Mais, probablement, du lamantin.
Vénus, d’ailleurs, sortait de la mer.
Les lamantins sont des poissons qui ressemblent à des femmes chauves. On en montre parfois dans les foires. Les Anciens les appelaient Sirènes et en avaient fait cent récits.
La femme bénéficie encore de ces histoires qui les présentent comme de fatales enchanteresses. La Lorelei, de la mythologie rhénane, est la plus célèbre de ces vamps. Ses filles attiraient sous les eaux les navigateurs mayençais en dansant des danses folkloriques. On en a fait des chansons instructives qui se chantent sur des airs plaintifs.
(Petit dictionnaire de la beauté)
On connaît la chanson de Heine. On sait l’histoire de la Lorelei, cette belle fille aux cheveux d’or que la légende a juchée sur un rocher du Rhin, près de Saint-Goar, en plein courant. Elle se peigne et elle chante. C’est une dame nostalgique qui sent les amours mortes, le panier de pêcheur et le soleil couchant. Et c’est si beau que le batelier, les yeux au ciel, ne voit plus qu’elle, ses cheveux d’or, son peigne d’or et la chanson dorée qui lui sort de la bouche.
Il reste là comme l’oiseau devant le serpent. Il coule à pic et on ne sait plus rien de lui.
Notre-Dame de la Catastrophe.
C’est une grande idée littéraire que d’avoir juché ainsi au sommet d’un rocher cette sorcière blonde, cette déesse folklorique, ce pastel ethnique, publicitaire et fatal.
Henri Heine l’a consacrée, on en a fait une chanson plaintive ; Mac Orlan y a été sensible. Il appartenait à l’Allemagne d’élever ainsi sur un trône la volupté de la nostalgie, le tragique de la destinée, le prestige de la mort subite et le sadisme de la beauté.
(L’Epoque – 23 février 1949)