Vous regardez le lapin et vous vous étonnez… C’est le même que le vôtre… en plus âgé… plus maigre… et plus mélancolique… mais, placé dans le Jardin des Plantes, l’innocent mammifère a pris un magnétisme surprenant. Vous éprouvez des voluptés irrationnelles. Ses oreilles vous intriguent, sa mastication vous étonne. Son autorité vous séduit.
Regarder le lapin est certainement une des fins de l’homme. Mais pour bien le regarder, l’homme a besoin de s’asseoir.
C’est ici, comme nous l’avons dit, qu’intervient le génie de la IIIème République. Elle vous tend le banc de square à pied de fonte ouvragée. Le banc de square à pied de fonte ouvragée est une sorte d’état de grâce – un état de grâce zoologique – en même temps qu’un sacrement municipal ; il vous révèle votre vraie nature, qui est une nature contemplative, il vous éveille à la vraie vie. Vous devenez propre, assis sur lui, à recevoir la nature extérieure ; vous la découvrez scientifique ; c’est un enivrement puissant.
La nature scientifique est un produit subtil de la grammaire et de la domestication. En devenant scientifique, votre lapin change d’article : ce n’est plus un lapin, c’est le Lapin.
Il est devenu sa propre image et son symbole.
Ce n’est plus le frivole mammifère, le futile bestiau, l’insecte peu sérieux dont le nez frémit sur une fane de carotte, c’est le Lapin en soi, c’est le lapin Lui-Même, en un mot le Lapin Eternel.
Ce n’est plus du civet, c’est de l’Instruction Publique.
On en est tout respectueux.
(Jean Paulhan au Jardin des Plantes – Opéra du 21 novembre 1951)
Les lapins s'ébrouent dans le jardin, font mille folies dans la carotte, commettent des crimes dans la luzerne ; et s'ébattent dans le chou quintal avec une naïveté charmante. Ils se jettent dans les jambes du facteur. Jamais ils ne sortent par la porte ! Un jour, ils sauteront d'eux-mêmes dans la casserole ; on s'étonne des progrès de la civilisation.
(La Montagne – 16 décembre 1952)
Crudités : Hygiéniques, mais évitez l’excès : le lapin blanc, qui ne mange que des fanes de carottes, a les yeux roses et la moustache en éventail.
(Petit dictionnaire de la beauté)
C’était un garçon doux, secret et taciturne, lâché dans l’existence dangereuse comme un lapin blanc dans un laboratoire de chimie.
(La complainte des enfants frivoles)