Les lacs emplissent d’anciens cratères dont la sonde ne trouve jamais le fond, parfaitement ronds et bordés de noirs sapins que de longues lianes de fleurs blanches relient parfois à des îles végétales.
Le silence est total, le soleil accablant, la solitude définitive.
Parfois on entend un pivert.
(L’Auvergne absolue)
Un lac, la nuit, contient le monde. Il expatrie l’intelligence.
Il faut l’utiliser ; l’euphorie sportive qui en résulte double l’appétit poétique et fait rendre aux eaux le maximum. Cette humble collaboration humaine du sport est nécessaire.
Ne laissez pas la nature parler seule ; ses monologues ne valent pas ses dialogues ; la « voix humaine » doit trouver sa place dans les orgues. Or on ne peut pas dialoguer avec une aurore boréale, avec la foudre ou avec les montagnes de la lune ; leurs plains-chants se passent de répons.
Les lacs offrent cette chance immense d’être assez grands pour les soli, assez humains pour tolérer le dialogue. Profitons-en.
Ils ont aussi leurs puérilités, leurs facilités romanesques qui les mettent à la portée de l’enfance ; on peut laisser traîner un lac dans toutes les mains.
Le clapotement discret de la vague, la molle agitation de cette masse aquatique qui broie ses vagues comme des miroirs d’étain, ces roseaux, cette rive nue, cette cabane lointaine du garde, cette barque, ces bois, ces brumes, cet univers parfaitement plat, gardent encore l’ombre éclatante des Peaux-Rouges, des animaux peints, des plumages, qui glissaient sur eux autrefois, dans les livres de notre enfance.
(…)
Ces lacs sont là pour la pensée, pour le sport et la poésie. Que deviendrait le monde sans lacs ?...
Ebrouons-nous dans leurs eaux hygiéniques et laissons-nous travailler l’âme par leurs ferments.
(L’Auvergne absolue)
Non loin de là il y a le lac de cratère : des ténèbres au fond d’un trou. Le résineux obscur alterne sur la rive avec le sombre conifère. Ils se mirent dans l’eau comme la houille dans l’anthracite. Des rideaux de feuillages constellés de fleurettes blanches se prolongent sur le lac par des îles d’autres fleurs ; il n’y a plus de rive, mais une eau de plomb au fond d’un grand songe végétal. Des iris d’eau raides comme des sabres. Une nuit sans lune. Et parfois on entend mugir dans une étable le petit oiseau qui s’appelle bœuf.
Mais tout à coup le soleil embrase ces solitudes et en tire une Côte d’Azur. Nul bruit, sauf, dans le bois, celui d’un cône qui tombe. C’est le travail du bec-croisé. Il mange les cônes des conifères. Après quoi il boit comme un trou, le gosier desséché de résine.
Il mange la forêt, il boit le lac. Il en est le roi. Il y a transporté son mystère (…)
Bref, il n’y a plus sur ces hauteurs que le mystère du bec-croisé parmi les songes de la nature, reflétés dans l’eau d’un lac noir. J’y ai tourné longtemps, en barque ou à la nage avec les ombles-chevaliers, autour de la « roche éruptive » qu’on voit sur les cartes postales.
Dieu, depuis des éternités, y tourne un film pour une salle vide. C’est la patrie du Temps perdu.
(Chronique du temps qu’on dit perdu – La Montagne – 2 juillet 1957)