L'âge d'Or

L’homme a toujours cherché l’Age d’Or.

Sa plus pure ambition est de se griser de lait de chèvre, de se barbouiller de jus de raisin et d’exalter le règne végétal en jouant de la flûte à six trous. Bref d’aller à Boen-sur-Lignon : l’écrevisse y pullule, le champignon sent bon, il suffit de changer à Pont de Dore.

Tout encourage à ce rêve rural : le lait caillé, qui fait les centenaires du Caucase, Dieu qui nous a créés au centre d’un jardin et Manet qui peint l’homme prenant un repos, en manches de chemise, avec des dames entièrement nues (…)

L’Âge d’Or sommeille au fond de l’homme comme une origine engloutie. Préhistorique et prénatal (…)

L’Astrée se trouve située au confluent de l’Âge d’Or et de la mystique du pique-nique.

Lieu géographique du bonheur.

(Préface à Honoré d’Urfé et l’Astrée dans Tableau de la Littérature Française. Tome 1. 1958)

Il faut prévoir d’ici peu de temps de grands maquis de gens intelligents qui préfèreront cette mort rapide à la lente folie des grands centres ; des troupes de clochards de montagne ; des rassemblements d’hommes en loques autour de grands feux de camp où d’habiles ménagères feront cuire des hérissons, des matelotes de couleuvres, des soupes d’orties, des civets de chienne ; du foie de gendarme en cas de besoin.

Une civilisation renaîtra de la pirogue, de la grotte souterraine, du culte du soleil.

L’homme recommencera à zéro. Ce sera affreux.

(La Montagne – 15 juillet 1963)

Le bonheur date de la plus haute antiquité. (Il est quand même tout neuf, car il a peu servi.) Il se composait de pommes, de poires et de scoubidous ; le lapin jouait avec le boa, le vison s’approchait d’Eve sans crainte, le tigre mangeait de la laitue ; un soleil neuf brillait à travers les palmiers qui se balançaient comme de lents éventails ; au premier plan, tout particulièrement soigné, de hautes rhubarbes élevaient leurs panicules au-dessus de vastes feuilles sinueuses ; bref, c’était le Paradis terrestre. L’homme ne sut pas le garder.

Il s’en lassa très vite. Il le perdit tout de suite par sa curiosité : il aime mieux savoir qu’être heureux.

Depuis il court après, en brouette, en auto, en fusée, autour de la Lune. Il ne le rattrapera pas (le bonheur court bien plus vite).

Il peut arriver, tout au plus, dans quelque square municipal, qu’un rayon de soleil, se posant sur le mouflon corse entre le cèdre et le marronnier, au milieu d’une pelouse parfaite, fasse vivre l’homme un bref instant dans un faux souvenir de l’Eden.

Le bonheur était l’apanage d’un jardinier qui n’avait pas de curiosité ; c’est une race complètement perdue.

(La Montagne – 23 août 1966)

L’homme fut créé dans un jardin. Il ne cesse d’en garder le regret ; d’écouter chanter une fontaine. C’est celle du paradis perdu.

Ses doigts restent dorés d’avoir touché le bonheur, ses fesses sont gelées de s’être assises trop longtemps sur la mosaïque du jet d’eau. On peut le prouver par le thermomètre.

Son âme, son corps regrettent un vieux bonheur.

(Dernières nouvelles de l’homme)

Depuis l’Éden le rêve de l’homme est un jardin.

Dieu ayant chassé l’homme du Paradis terrestre, l’homme s’est rebâti l’Éden dans le jardin public. Il y a réuni toutes les races, le tigre, le lapin frisé, le gardien de square à képi vert, l’hémérocalle, le cèdre, l’ail moly, la sanguinaire du Canada.

Il l’a orné de tout ce qu’il y a de plus beau : la girafe et le banc vert à pieds de fonte ouvragée où culmina le génie de la IIIème République.

Et c’est ainsi que le jardin Lecoq, Éden déchu, se souvient du paradis terrestre.

(L’Auvergne Absolue)