Jadis, il y avait les jeunes filles. Elles étaient grandes et distinguées. Rien n’était plus beau que leur sourire. Elles mangeaient des lentilles et disaient leurs prières. Leur grand-père était général. Elles riaient sans qu’on sache pourquoi ; et, d’autres fois, elles pleuraient en cachette.
Elles conservaient une fleur séchée dans un keepsake et rêvaient d’un cousin qui croisait aux Antilles. Elles avaient toutes de faux airs de Jeanne d’Arc ; on eût dit qu’elles allaient entrer dans Orléans en brandissant les oriflammes et sauver la France de l’Anglais. Tout le proclamait : leur bicyclette, leur tante bretonne et leurs oreilles qui sentaient l’eau de lavande disaient le courage le folklore, la vertu.
Un jour, hélas ! les cannibales mangeaient le cousin des Îles. Le général laissait des dattes. Elles se retrouvaient soudain ruinées dans un salon orné de plantes vertes et du portrait d’un magistrat. La plante verte valait peu de chose, le magistrat n’était pas à vendre, le portrait ne valait rien du tout.
Elles enseignaient alors l’aquarelle ou le piano avec plus de cœur que de compétence, et une langue que la directrice du pensionnat de leur enfance appelait courageusement l’anglais.
(Misère des temps – Nouvelle Nouvelle Revue Française n°34 – Octobre 1955)