« S’il n’y avait pas d’autres preuves de l’existence de Dieu, a-t-elle noté dans son journal intime, Greta Garbo suffirait à la prouver. »
Et, en effet, on est saisi d’admiration comme devant une chose impossible, devant ces yeux qui font tourner tant de têtes, ces pieds qui ont fait tant de kilomètres, ces mains qui ont gagné tant de millions, ce pouce qui s’oppose aux autres doigts comme chez l’homme et chez les grands singes, à l’exclusion de toute autre espèce de vertébrés, de sorte qu’ils peuvent prendre des chèques, allumer des cigarettes blondes, mettre du sucre dans une tasse et faire tout comme une grande personne ; ces poumons qui entretiennent l’oxygénation du sang ; ce cœur qui fonctionne sans moteur à la façon d’une pompe aspirante et foulante ; cet estomac qui digère le caviar, la truffe, le whisky, les cocktails, et tous les aliments d’une façon générale, par inspiration naturelle, sans que personne lui ait jamais appris ; ces membres inférieurs qui permettent à l’ensemble de progresser à la surface du sol sans le secours d’aucune mécanique, grâce à un ensemble de muscles, de nerfs et d’articulations si adroitement agencés qu’on en est comme dans le ravissement ; et cet équilibre du corps qui assure aux grandes actrices, aux caissiers, aux comptables, et même à l’homme, pour dire les choses en gros, la possibilité de marcher verticalement qu’on demanderait vainement à la carpe, au mille-pattes ou au grabataire.
C’est ainsi que Greta Garbo prouva Dieu à Minou Drouet par les merveilles de sa nature.
On se demande ce qu’eût dit Minou si elle avait vu l’éléphant. Et le tatou. Et les tatusiens. Qui mangent sans dents ! Et la grande tatusie. Et le gypaète barbu ! Et tous ces animaux que Dieu créa en cachette pour échapper aux réflexions des grandes personnes.
(Chronique des preuves de l’existence de Dieu et de plusieurs appartements vides – La Montagne – 15 janvier 1967)