Grand-mère

Où allons-nous ?

Ma grand-mère en était fort curieuse. Elle se le demandait souvent. En même temps, elle levait les deux bras vers le ciel. Ensuite elle hochait la tête et revenait, soulagée, de l’abîme entrevu, car elle se rejetait dans la conversation avec une passion décuplée.

Au besoin, pour se soutenir un peu après des visions si tragiques, elle prenait une pastille Valda ou acceptait un doigt de porto si elle se trouvait en visite.

Vingt fois par jour, elle s’interrogeait ainsi ; vingt fois par jour elle montait à sa tour, inspectait l’horizon, découvrait des ténèbres où se perpétraient des catastrophes, et revenait à ses occupations d’une âme égale et même rassérénée.

Elle vécut à la proue de notre civilisation, à l’affût de tous les récifs, comme une sentinelle avancée et généralement pessimiste.

C’était plus beau quand elle avait un chapeau à plumes parce qu’en hochant la tête elle était obligée de hocher également les plumes, ce qui amplifiait et magnifiait l’oscillation.

On eût dit que l’angoisse humaine se balançait dans le vent du soir comme un arbre exotique aux couleurs éclatantes.

C’était bien plus majestueux.

(Où allons-nous ? - La Montagne – 11 octobre 1955)