Grammaire

N’ayant pas le temps d’être bref, je serai peut-être un peu long, mais je donnerai des conseils utiles.

Et d’abord, pour les verbes en er : jamais d’s à l’impératif.

N’écrivez pas : aimes, accueilles, ou pardonnes. Mais tue, étripe, écorche, assomme, fusille. Vous posséderez la vérité.

(La Montagne – 5 juin 1962)

La grammaire est, après le cheval, et à côté de l’art des jardins, l’un des sports les plus agréables. Il faut toujours garder un vice pour ses vieux jours. La grammaire est l’un des meilleurs.

Je serais assez d’avis, avec Audiberti, que l’orthographe est toujours trop simple, il y aurait intérêt à compliquer ses règles. Les amoureux de billard, de cheval ou de régates trouvent toujours à compliquer le jeu (…).

Quand on est amoureux de la langue, on l’aime avec ses difficultés.

On l’aime telle quelle, comme sa grand-mère. Avec ses rides et ses verrues. Avec son bonnet tuyauté qui donne tant de mal à la repasseuse.

On ne veut pas la faire visager. On le trouverait méconnaissable.

Et en serait-elle plus belle? On ne sait jamais d’avance.

(La Montagne – 10 décembre 1970)

Une langue, pour rester, et pour rester vivante, ne peut se passer du frein et de l’éperon.

Sans l’éperon que sont les nouveautés, les inventions de la langue parlée, elle deviendrait vite une langue morte.

Sans le frein que sont les grammairiens, les puristes, les orthodoxes, elle changerait à une telle vitesse qu’en peu d’années on ne la reconnaîtrait plus. On perdrait le bénéfice des siècles de culture dont les ouvrages ne seraient plus compris de personne. L’humanité passerait son temps à redécouvrir l’Amérique.

(Dernières nouvelles de l’homme)

Au temps, dont parle sur le parvis de Notre-Dame ce « vieillard tout attendri » de la chanson, que Paris était encore un grand village et Berlin un groupe sans cohésion de huttes où l’on mangeait du poisson sec autour des feux de tourbe, les Germains inventèrent pour se distraire un jeu de société qui s’est perpétué jusqu’à nos jours et qui s’appelle le jeu de la particule séparable.

Il exige un grand effort de mémoire, de solides connaissances grammaticales, un entraînement quotidien et des poumons de coureur de 5000.

Il consiste à dévisser tous les verbes en deux parties, l’une qu’on pose au début de la phrase, et l’autre, la particule séparable, qu’on ne laisse apparaître qu’à la fin de la conversation si on ne l’a pas oubliée en route.

Le verbe allemand est en quelque sorte un basset aux réactions lentes. Vous lui marchez sur la queue au commencement de votre phrase et il aboie quand vous la terminez. C’est un petit baril de poudre dont vous allumez négligemment la mèche sous le séant de votre interlocuteur en guise de prologue et qui lui éclate dans les jambes au moment où il s’y attend le moins.

La phrase s’en trouve toute illuminée, car c’est cette explosion soudaine de la particule séparable qui lui donne tout son sens.

(L’intransigeant – 1927)

Le subjonctif après « après que », c’est comme de sucrer le hareng ; ou de saler la crème Chantilly ; ou de porter les palmes académiques avant la médaille militaire. Alors que l’indicatif est d’un emploi si simple, si pratique, si décent, si bref. Alors qu’il y a même plus rapide !

Je me demande pourquoi les hommes du XXème siècle, dont le temps est d’un prix infini, se tordent la bouche et le gosier, se massacrent la glotte, le pharynx, la luette, sans compter l’épiglotte et plusieurs autres choses dont j’ai oublié le nom précis, mais qu’on retrouverait dans le Larousse médical, pour dire : « Après que j’eusse mangé les hors-d’œuvre », quand il est si facile de dire : « Une fois les radis expédiés ».

(La plume, ses hasards, ses dangers – La Montagne – 3 mai 1962)

J’avais à reparler de la grammaire. Qui est la mère de la civilisation. Ou tout au moins sa fille aînée. Ou alors sa cousine à la mode de Bretagne.

Et je ne dis pas que ce soit passionnant, mais enfin c’est une cause très juste qu’on n’a pas le droit d’abandonner. La Grammaire est une belle personne, un peu sèche, un peu tatillonne, autoritaire, et chichiteuse, un peu osseuse, un peu chameau, mais enfin, pour un jeune homme pauvre et qui n’a pas trop d’ambition c’est un parti qui mérite un coup d’œil.

Il y a trois sortes de femmes, disait Apollinaire : les em..bêtantes, les embêteuses et les embêteresses ; la Grammaire est une embêteresse.

Elle distille l’ennui distingué. Après tout elle a le profil grec, et des endroits moins secs que d’autres ; ceux qui la connaissent bien disent que c’est une fausse maigre. Bref, il y aurait plaisir à rompre en son honneur quelques lances dans les tournois. Tout au moins si on ne savait pas les graves dangers de l’équitation. Surtout avec les chevaux de tournoi, qui se prennent les pieds dans leurs jupons tant ils sont couverts de dentelles, de volants et de colifichets.

(Chronique du dernier ronchonnement – La Montagne – 20 mars 1962)

On n’imagine pas le nombre de fanatiques, de rêveurs, d’esprits distingués, qui se passionnent pour le point virgule, le futur antérieur, la participe présent et l’illogique pluriel des noms à trait d’union.

Parmi eux un manchot, deux chaisières, un berger.

(La plume, ses hasards, ses dangers – La Montagne – 3 mai 1962)

Deuxièmement : après « après que », il ne faut pas mettre le subjonctif. La préposition « après que » ne gouverne pas le subjonctif. « Avant que », oui (avant qu’il ne vînt) ; « après que » non (après qu’il fut venu ; et non « après qu’il fût venu » ; fut à l’indicatif, sans accent circonflexe ; avec l’accent, c’est le subjonctif).

Mais, mieux encore : « avant sa venue », « quand il fut venu », « ne fois qu’il fut là », « ne fois là (si la phrase le permet) : « une fois là, il n’en sortit plus ». C’est bien plus simple et bien plus français.

Le bon français évite « après que » ; il le remplace par « quand » ou par une autre tournure.

De toute façon, c’est une catastrophe que de faire suivre un « après que » ; du subjonctif, surtout à une époque où ce mode fait démodé et où on dit en avoir horreur. Et ce sont précisément les gens qui prétendent le plus l’abhorrer qui l’emploient dès qu’il ne faut pas. Mystères du cœur humain.

Et ce n’est rien encore. La catastrophe est double. Car ils l’emploient sans savoir le conjuguer. Ils écrivent froidement : « avant qu’il fusse ». C’est à partir de là que la chose devient grandiose, ubuesque et même shakespearienne. Abyssale et irréversible. « Avant qu’il fusse… ». Ils écrivent ça froidement.

Bref, j’en pleure des larmes de sang et ces choses amèneront ma mort prématurée.

Le plus tragique est qu’elle n’y changerait rien.


Il faudrait peut-être qu’un académicien s’enduise d’essence, allume sa barbe, et se brûle sur les marches de l’Institut pour rappeler les coupables à une plus saine grammaire (on pourrait choisir le plus maigre, ou le plus âgé, où le plus séduit par cette méthode), mais il ne faut pas se faire d’illusion, le lendemain, le reporter titrerait calmement : « après qu’il se fusse enduit d’essence, M. François Mauriac met le feu à sa personne pour défendre la langue française ».

Ce serait le coup de grâce. Évitons-le.

(Chronique bien triste et inutile du mauvais emploi du subjonctif – La Montagne – 9 mars 1969)