Femme

Il y a des femmes qui chantent La Marseillaise, drapées dans le drapeau tricolore, d’autres qui attendent l’autobus 27 au coin du boulevard Arago; il y en a qui rappellent leur chien; il y en a qui jouent du tambour dans 1′«Orchestre des Hirondelles », d’autres qui sont «parents d’élèves», et d’autres qui volent des lapins. On voit par là leur infinie diversité. C’est pourquoi il est difficile de prendre une vue synthétique de la femme et de faire d’elle un tableau complet. Le docteur Garnier a réussi pourtant, en 1883, dans son beau traité du Mariage, à la page 196, à établir d’une façon générale que la femme a la graisse plus blanche et bien plus fine que celle de l’homme, et le genou plus gros et plus rond. Elle a également dix ans de moins. Cet âge inférieur à celui de l’homme change aussi bien moins fréquemment. Balzac pose en principe que les dix plus belles années se situent, pour la femme, entre vingt-neuf et trente ans.

C’est au cours des grandes migrations que la femme donne sa plus belle mesure. Elle jette pêle-mêle les enfants et les sacs dans les hauts chariots à roues pleines, elle les bâche, elle attelle elle-même les chiens de traîneau. Elle fait le coup de feu contre les Peaux-Rouges. Elle rattrape, à l’étape, les juments égarées. C’est elle qui boulange rapidement ces gros pains d’orge ronds et mous, d’un brun verdâtre, qui sont le vrai pain de grande migration. Elle lance aux chiens et aux pintades leur ration de farine de poisson. Elle ramasse sur la piste, avec beaucoup de mérite, dans des cabas en sparterie, les crottes du chameau et du yak, qui constituent le seul combustible tout le long du désert de Gobi. Elle plie en quatre les journaux que les hommes glisseront entre leur peau et leur chemise pour se protéger des grands froids. Elle bouche parfois les fissures de l’igloo.

(Spectacle du Monde n° 75, Juin 1968)

La femme se compose essentiellement d’un chignon et d’un sac à main. C’est par le sac à main qu’elle se distingue de l’homme. Il contient de tout, plus un bas de rechange, des ballerines pour conduire, un parapluie Tom Pouce, le noir, le rouge, le vert et la poudre compacte, une petite lampe pour fouiller dans le sac, des choses qui brillent parce qu’elles sont dorées, un capuchon en plastique transparent, et la lettre qu’on cherchait partout depuis trois semaines.

Il y a aussi, sous un mouchoir, une grosse paire de souliers de montagne. On ne s’expliquerait pas autrement la dimension des sacs à main.

(Spectacle du Monde n° 75 - Juin 1968)

Eclairage : « La lampe permet à l’homme de contempler sa femme », assure un philosophe allemand. Ayez par conséquent l’éclairage électrique : « A la chandelle, la chèvre semble demoiselle. » Vous éviterez d’horribles quiproquos.

(Petit dictionnaire de la beauté)

Accipitre (Profil d’) : Les femmes dont le profil rappelle celui des accipitres, tels que le faucon, le vautour, le gypaète barbu, ont une intelligence très vive, un caractère dominateur et une nature majestueuse. Leurs enfants aiment faire leurs devoirs, leur mari aime faire la vaisselle, leur bonne adore cirer le plancher.

(Petit dictionnaire de la beauté)

A peine sèche, le coiffeur l’enferme au fond de sa cave. A côté de vingt-cinq autres femmes. Sur des fauteuils. Toutes immobiles. Comme des poupées. Comme des momies. Dans un drap blanc. On peut les voir par un soupirail : mauves ou vert Nil, parfois même vert pistache, dans un éclairage au néon. On dirait des mortes dans leur tombe, c’est un sous-sol de science-fiction. Tout le long de cette chambre des supplices, elles sont coiffées jusqu’au menton de casques gaulois reliés à des souffleries par un système de tuyauteries qui s’apparente aux tubulures de l’hélicon. Dans cet attirail scientifique, elles ressemblent à s’y méprendre à des scaphandriers, à des ordinateurs, à des Martiens, à des contrebasses, au réduit du chauffage central. On dirait des mégathériums branchés sur des sarrussophones. On croit avoir épousé une jeune fille, on s’est marié à un alambic.

(Spectacle du Monde n° 75, Juin 1968)


La femme remonte, comme je l’ai déjà dit, à la plus haute antiquité. Elle a une très grande importance. Sans elle l’homme serait orphelin.

Il vivrait comme un veuf. Au Café du Progrès. En buvant du vermouth-cassis jusqu’à des deux heures du matin. Et en fumant des cigares bon marché. Son foie n’y résisterait pas. Ses doigts seraient jaunes de nicotine. Il mènerait une vie misérable, qui le conduirait rapidement au tombeau. Ses orphelins seraient inconsolables. Privés de bachot, et même d’études sérieuses, par de si tristes circonstances, ils fréquenteraient des compagnies douteuses. Ils vivraient de « hold up », de rapines, d’auto-stop. Ils se laisseraient pousser les cheveux jusqu’aux omoplates, et la barbe jusqu’au nombril. Ils fumeraient de la marijuana. Ils se mettraient des colliers de fleurs. Ils se décalqueraient des pivoines sur le front et des femmes nues sur la poitrine. Ils s’assiéraient sur le bord des trottoirs, et ils joueraient de la mandoline dans les capitales étrangères.

Et parfois même du banjo hawaiien.

(La Montagne – 13 avril 1969)