Désert

Il y a plaisir à patauger dans les déserts. On ne sait trop qu’en faire, par où les attraper, mais on sent bien, surtout quand on est auvergnat, qu’il y a quelque chose à ne pas laisser perdre.

Les déserts froids sont sans doute faits pour engraisser, et les déserts chauds pour maigrir. Le désert froid est plein de phoques et d’aurores boréales. On y mange du hareng, on y boit de l’huile de morse, on devient gras et luisant dans une fourrure de renard.

Les déserts chauds amaigrissent l’homme et le fournissent de proverbes arabes. Quant aux déserts d’Amazonie, ils sont créés pour supprimer l’explorateur. L’ethnologue s’y enfonce dans la mousse comme dans une éponge gorgée d’eau, dégluti par des monstres mous.

Il ne reste de son agonie qu’une odeur de boa, dans une lumière d’émeraude.

(Spectacle du Monde n°29 – Août 1964)



Le dromadaire monstrueux, compliqué, grêle et déhanché, fait de morceaux qui vont mal ensemble, vient balancer son col de cygne et promener ses pattes de sauterelle sur la route de l’aérodrome avec l’œil dégoûté et la lippe dédaigneuse d’un examinateur blasé.

(Croquis d’Egypte – 1938)



Le chameau n’a rien de vulgaire. Son expression justifie le face-à-main de la vieille dame poseuse, et sa suspension le ressort courbe de la voiture d’enfant.

Quand il se lève avec toutes ses bosses, toutes ses pattes et tous ses segments, c’est l’Orient même que vous voyez se lever, la lune des sables et l’ânon ophtalmique.

Il lui sort toujours un chardon de la bouche, comme un proverbe agressif avec tous ses piquants. Il a servi de véhicule aux Rois mages et à la reine de Saba. C’est une nacelle d’impératrice.

(Camille et les grands hommes)



On n’habite pas assez le désert.

L’homme a pris l’habitude de bâtir dans les villes et de manger l’escalope de veau qui nécessite d’abondants pâturages. C’est ce qui nous perd. Triste coutume.

L’homme de la grande époque habitait au désert où il se nourrissait de sauterelles et de poussière fine. Son esprit survolait la chose. On a même vu Siméon le stylite habiter en haut d’une colonne où un corbeau lui portait un petit pain. Et encore. Une fois par semaine. Les bonnes années. Du petit pain fantaisie qui a le droit de ne pas faire le poids marqué.

L’homme habitait au-dessus de lui même ; il vivait dans un ascenseur, à dix étages au-dessus du sien ; un ascenseur qui ne descendait jamais. Il laissait sa guenille à la porte. Après, il pressait sur le bouton.

Tel fut-il. Quels sommes-nous ?

(Le désert du Docteur Gaspar – La Montagne – 22 décembre 1964)