Collections

La passion du collectionneur dépasse toutes les autres en violence. Les spécialistes assurent qu’un homme, sous son empire, peut tuer pour une assiette à fleurs dont un profane ne donnerait pas deux sous ou pour un timbre de trois centimes. De couleur jaune. Représentant une tête de bœuf. Ou même de lapin domestique.

Il parait qu’il est effrayant d’assister aux fureurs d’un vrai collectionneur. Sa patience attend des années. Sa colère est brutale, ses effets meurtriers. On a vu des collectionneurs empoisonner à l’arsenic toute une famille de personnes respectables, amies des lois et très utiles à la société, pour un sous bock ou un piège à puces qui manquaient à leur collection.

Car les collectionneurs font des collections de tout : de cure dents, de faire-part, de ludions, de corbillards. De rhytons et d’aquamaniles. Oui, si extraordinaire qu’il semble à première vue, il y a des gens qui passent leur vie à collectionner des rhytons. Et aussi des aquamaniles. L’esprit humain en reste confondu. Il y a des « vitolphiles » et des « copocléphiles ». D’autres collectionnent des enfants, des échos, des infirmités. Alphonse Allais raconte l’histoire de ce collectionneur d’enfants qui avait déjà toutes les sortes d’enfants que permettent le code ou la nature : un enfant légitime, un enfant naturel, un enfant de chœur, et des enfants jumeaux, un enfant adoptif, que sais-je, il ne lui manquait qu’un enfant posthume.

Comme sa femme attendait un fils, il se fit sauter la cervelle pour compléter sa collection.

(La Montagne – 16 avril 1967)