Colette

En vingt jours nous perdons Colette et l’Indochine.

Si on avait dit à Colette en 1890 que sa mort, pendant quelques jours, tiendrait plus de place dans la presse que la perte de l’Indochine, elle aurait ouvert des yeux ronds.

Tels sont pourtant le prestige du style et la lassitude d’une nation. Il faut croire que le style est une bien grande magie.

Le sien était insurpassable.

Il lui a permis de faire un sort glorieux à tout ce qui se voit, se sent, se lèche, se renifle ou se tripote. Elle a les doigts de l’aveugle et le flair du setter. Elle entre de plain-pied dans le mystère animal ; il n’y a eu, parmi tant, qu’un portrait de Landru : celui qu’elle a fait aux assises ; et c’était un portrait d’oiseau.

C’est d’elle que datent les dames mûres, les boules de verre (qui « mouillent la bouche »), le paon, le serpent, les traces du chat, la première ride, l’odeur du chocolat et le parfum de la chair fraîche.

C’est d’elle encore que date sa mère et toutes les fleurs.

C’est d’elle ou de Chardin que datent les pêches. Elle a peint le chat, le python et la femme de façon à rester pour toujours notre plus grand animalier.

(La Montagne – 10 août 1954)



Ou alors il faut lire Colette. Flammarion la réédite toute.

Il y a des écrivains qui écrivent avec leurs mains, et certains avec leurs pieds, beaucoup avec leurs yeux, leur tête (ils ont des têtes grosses comme des montgolfières).

Colette écrit avec son nez.

C’est une chatte dans la valériane. Grisée d’odeurs et de sensations. Il n’est pas une odeur dont elle ne sache rendre compte avec une plume et avec des mots. Et c’est un joli tour de force (essayez de raconter l’odeur de la violette).

Tout ce qui se hume, se sent, se renifle, se goûte, elle y est chez elle, c’est son domaine, et même sa création. Et aussi tout ce qui se touche, se palpe ou se caresse. Tout ce qui se tripote.

Tout son génie est dans son nez, dans ses doigts et dans ses muqueuses. C’est par elles que, parfois, elle arrive jusqu’à l’âme, et toujours à la poésie. La poésie est faire de précision. C’est une des hautes leçons qu’elle donne.

(La Montagne – 21 février 1971)

Colette faisait une pluie de pétales, s’éparpillait en articles divers, en descriptions de pythons, de fleurs, que sais-je ? En portraits de Landru et recettes de loup au fenouil.

Elle y mettait le meilleur d’elle-même. A quoi bon entourer tout ça d’un excipient, d’une histoire arbitraire, de ce qu’on appelle un roman bien fait ?

(La Montagne – 30 novembre 1965)

Colette faisait une pluie de pétales, s’éparpillait en articles divers, en descriptions de pythons, de fleurs, que sais-je ? en portraits de Landru et recettes de loup au fenouil. Elle y mettait le meilleur d’elle-même.

Carco écrivait des souvenirs. A quoi bon entourer tout ça d’un excipient, d’une histoire arbitraire, de ce qu’on appelle un roman bien fait ?

Le meilleur est dans le filigrane, le subconscient (le magma confus, la nébuleuse d’où sort une œuvre).

(Réponse à Jacques Brenner – La Montagne – 30 novembre 1965)