Que devient l’homme ? On le trouve dans les foires. Il y vend de la « barbe à papa ».
Il est royal, il est solennel, il confère à sa marchandise une noblesse qu’on n’attendait pas d’un produit si futile en soi, si ignoré de la diététique, si oublié de la statistique, si négligé de la haute banque, si réservé à la seule poésie.
Car la « barbe à papa », pour ceux qui ne le savent pas, est une espèce de coton hydrophile comestible, volumineux, inconsistant, une neige lyrique qui fournit aux enfants des hommes la nourriture la plus chimérique de la terre ( à l’exception des graines de pastèque).
Plutôt qu’un aliment, c’est un rêve éphémère. On le puise au fond d’une cuve, après avoir touillé, et on le mange au bout d’un bâton que l’opérateur vous tend avec solennité, le brandissant à la façon d’un sceptre, d’un goupillon ou du flambeau de la Liberté, comme pour régner, ou pour bénir, ou encore pour éclairer le monde.
On voit par là combien, livré au seul génie du petit commerce, l’homme peut élever l’homme au-dessus de l’homme, l’objet au-dessus de son apparence, et parfois même la marchandise au-dessus de son prix.
(La Montagne, 29 août 1961)