On m’a reproché beaucoup (c’est du moins à souhaiter) d’avoir exagéré l’altitude du puy de Dôme dans un ouvrage sur le Massif central (je lui ai donné 100 mètres de trop). Il y a la quelque ingratitude. La mariée n’est jamais trop belle. Voila longtemps que le puy de Dôme était trop petit.
Je ne plaiderai pas l’incompétence, qui est pourtant la meilleure excuse. Je soupçonne, au contraire, mes critiques de n’être jamais montés au puy de Dôme. S’ils l’avaient fait à bicyclette, comme je le fis, pendant deux ans, trois à quatre fois par semaine, ils se seraient bien vite aperçus qu’il est beaucoup plus haut qu’on ne le pense. (En revanche, à la descente, il est beaucoup plus petit. Il faut établir une moyenne. Elle reste très supérieure au chiffre machinal de nos géographies.)
(…)
Encore est-ce voir les choses matérialistement. Il est, pour les montagnards, une altitude morale. Le puy de Dôme, moralement, est bien plus haut que lui-même. Historiquement, le puy de Dôme est plus grand que le mont Blanc. Où alors, que fait-on d’Astérix, de Gergovie, de Vercingétorix ? Ils valent bien Guillaume Tell. Ce qui n’empêche pas les Suisses de regarder le puy de Dôme de très haut. N’hésitons pas à lui donner mille ou deux mille mètres de plus. Il faut impressionner les Suisses. Nous aurons pour nous la morale et le commerce y gagnera.
Quand à moi, je mourrai satisfait, ayant doté le pays de mes aïeux de la plus haute de ses montagnes.
(La Montagne – 30 avril 1967)
L’Auvergne est une de mes patries. Car j’ai plusieurs patries ; l’une au bord d’un grand fleuve, au coin même du désert et de la rue Tantah, l’autre au bord d’un autre désert, l’autre au bord d’un autre grand fleuve (je dois être né sous le signe de l’eau), d’autres enfin sur des montagnes et des lacs.
J’habite de loin toutes mes patries, c’est ainsi qu’on les habite bien (De près, elles perdent à l’usage). Elles sont chaudes en hiver, elles sont fraîches en été, le vin s’y garde bon dans des maisons obscures et les jets d’eau refroidissent la mosaïque ; le soir de petites lumières s’allument au bord de l’eau et le bonheur habite dans les vignes au-dessus desquelles, le jour, tourne un papillon blanc.
L’Auvergne n’a pas de grands fleuves, mais elle n’est que ruissellement, cascades, bouillons, lacs de cratères.
J’y vis nu dans l’eau du torrent en compagnie d’Henri Pourrat. Il m’attend sur le bord, et une fois que je suis sec nous reprenons la conversation juste à l’endroit où nous l’avions laissée.
(Plaisirs de l’Auvergne – Opéra, janvier 1952)
Allez voir ce « Royaume du vert ». Vous y trouverez toute chose plus grandiose qu’autre part : le bois plus noir qu’ailleurs et l’avare plus avare, l’herbe plus drue et le loup plus affamé. Vous entendrez le vent qui siffle en passant dans le « bon Dieu de Saint-Flour », devant l’immense espace qui sent l’horizon bleu, le champignon et la pomme de pin.
Vous serez pris par un charme amer difficilement définissable.
Car l’Auvergne est un meuble pauvre que la France a relégué longtemps dans sa mansarde. Elle s’y est imprégnée d’une odeur de grenier, de vieux temps, de rêve, de bois de sapin. Elle sent la bure et la fumée.
C’est un secret plutôt qu’une province. Elle vous tourmente toujours d’un songe.
C’est quand on l’a trouvée qu’on la cherche le plus.
(L’Auvergne absolue)
L’Auvergne produit des ministres, des fromages et des volcans.
Il n’y a rien de plus chauve qu’un volcan. C’est un spectacle de science fiction que d’en voir trente autour du Puy de Dôme, avec leur trou en haut de la tête, comme un nid de poule, comme une fontanelle mal soudée.
On dirait un morceau de la lune. Le spectateur en revient halluciné.
(Spectacle du Monde n°19 – Octobre 1963)