Il fait froid et les jours allongent. Les branchages nus des marronniers sur les avenues sont noirs, taillés, griffus et agressifs, contre une espèce de ciel blanchâtre, comme les arbres de Buffet autour de ses châteaux de la Loire.
Les perce-neige sont morts, les crocus blancs se meurent, les jaunes et les mauves s’apprêtent déjà à montrer le dessin japonais qu’ils dissimulent au fond de leur cœur, la tulipe se prépare et les charmilles bourgeonnent, l’euphorbe imperturbable a commencé de fleurir : l’ornithorynque devient rêveur.
On n’attend plus que les premières mouches qui permettront les premières hirondelles.
(La Montagne – 8 mars 1970)
Le thermomètre remonte partout. Ce qui entraîne une hausse de la température favorable au retour du printemps. Les icebergs fondent. On craint pour les navigateurs qui se sont réfugiés sur eux à la suite de naufrages dans les régions arctiques.
Ils voient avec frayeur diminuer la surface de ces îlots hantés par l’ours blanc. Des rencontres seront inévitables. Puis le vainqueur périra noyé.
Tels sont les drames du pôle que ramène le printemps.
(La Montagne – 12 mars 1963)
Il lave son âme dans un vieux seau de fer-blanc, il la rince, il la tord, il la sèche au soleil, il fait peau neuve, il dépouille le vieil homme, il se revêt de l’homme nouveau.
Il met un gilet fantaisie.
Il avance sur le pas de sa porte.
Il voit le coucou qui arrive d’Afrique, la cigogne qui fait son nid. Déjà l’érythropize, en Amérique du Nord, danse devant sa femelle éblouie sur un théâtre de verdure. La mante dévore son maigre époux. L’araignée échappe de justesse aux fureurs de sa tendre épouse. Le ver luisant allume ses feux. Le sous-préfet ouvre ses portes. Ce ne sont plus que marbre et plante vertes. Les demoiselles invitent les messieurs.
Elles sont belles à faire peur dans leurs robes de dentelles.
Priez pour l’homme. Il bombe le torse. Il est perdu.
(Adam, mars 1965)
Les premiers moustiques dansent sur un ciel presque blanc. L’air sent la feuille nouvelle. Les grues volent vers le nord. Le 5 du mois rappelle à l’homme la naissance de la femme à barbe. Le cerf aboie, la taupe se marie sous la terre. L’homme éprouve tout à coup pour les jeunes filles aisées toutes les violences du sentiment : il compte leurs tantes à héritage, il demande à leur notaire le chiffre de leur dot.
(L’oiseau de mars ou le réveil de la Chauve-souris – Arts Ménagers – Mars 1968)
L'oiseau de Mars ou le réveil de la Chauve-souris
Les premiers moustiques dansent sur un ciel presque blanc. L'air sent la feuille nouvelle. [...] Le coeur de la chauve-souris se réchauffe. Accrochée en quelque ténèbre, comme une toile d'araignée à une voûte ogivale, elle se réveille lentement de son long sommeil d'hiver et part en zigzag dans la brume à l'heure où la lune sort du bois.
La chauve-souris est un oiseau des plus étranges. Elle ne parle pas comme l'ara, elle ne siffle pas comme le merle. On ne peut pas la mettre en cage comme le grillon ou le tigre du Bengale. Sauf la roussette qui mange la tête en bas... (les plus belles ont un mètre cinquante ; elles chantent, ou plutôt cacardent comme l'oie). Ce sont des choses qui confondent l'esprit.
(L'oiseau du mois, Alexandre Vialatte)