Le premier de l’an date de la plus haute Antiquité. Si loin qu’on remonte dans l’histoire de la Terre, les années ont toujours fini et recommencé. Si bien que le premier de l’an date de bien avant l’homme. Il en a pris une majesté considérable. Il ne cessera que le jour où la Terre, qui tourne à une vitesse terrible, sera usée par le frottement. Son rayon diminue chaque jour. Chaque jour rapproche donc l’homme du centre de la terre. Le dernier jour, n’ayant plus de support, il tournera autour de ses pieds.
Finalement, il mourra de vertige.
(La Montagne - 31 décembre 1967)
Les enfants de janvier seront curieux, discrets et porteront des pardessus rayés ; le ciel bénira leurs entreprises. Les femmes seront généreuses et sincères ; les astrologues très renseignés assurent qu’elles feront des voyages et vieilliront comme les grands vins.
(Almanach des quatre saisons)
Il semble, d’après les journaux, que l’hiver ait débuté par un froid assez vif.
En Slovaquie on signale moins soixante. En Alsace le marc de prune gèle à mi-pente dans l’œsophage du cantonnier.
A Paris il a fait moins quinze : à Besançon, qui est cependant une ville beaucoup moins importante, on a obtenu moins vingt-huit ! Les marseillais, pour se vanter, ont eu de la neige.
Le loup ne trouve plus pour se nourrir que quelque vieillard attardé qui a un petit goût d’os sec et de pantalon de velours. C’est une misère épouvantable.
(La Montagne – le 1er janvier 1963)
La poésie, c’est le début de l’année. C’est les Rois mages avec leurs couronnes d’or, l’encens, la myrrhe, les robes rouges, les robes jaunes, le chameau à l’oeil dédaigneux, avec son profil de vieille dame, et son cou comme un tuyau de pompe. Et le nègre ; surtout le nègre ; à cause de sa robe verte.
Et tout le mois de janvier est comme ça. Comme un Breughel ; les enfants qui patinent, la vapeur qui leur sort du nez, le ciel noir, la terre blanche, les peupliers tout nus ; le schlitteur en bonnet de fourrure ; rien de plus charmant que les images de l’hiver.
Surtout quand on les voit de l’auberge, à travers une petite fenêtre. devant un grog fumant où nage un citron pâle.
Quand on a eu bien froid et qu’on aura bien chaud.
(La Montagne – 9 janvier 1964)
L'oiseau de Janvier ou l'énigme du Pic-vert
L'homme se réveille en janvier lentement au milieu des jardins déserts, l'esprit encore tout embrumé des vapeurs de la Saint-Sylvestre ; ses idées flottent, sa femme lui apporte de l'aspirine, ses enfants marchent sur la pointe des pieds. Les champs sont nus jusqu'à l'horizon.
L'agriculteur sérieux coupe des perches de saule. Seul le jaune pâle du jasmin d'Espagne éclaire le mur du jardin mort. Une "vieille douceur" s'étend au loin sur les prés de chanvre et d'eau jusqu'aux forêts mouillées. "L'air est sans vent, le pays sans couleur." Quel silence sur ce mois où sont morts Louis XVI, Pierre Larousse et Caligula ! La fourmilière a été dévastée. Le pic-vert a mangé les fourmis. C'est un métier d'oryctérope (l'oryctérope est, comme on le sait, le plus rêveur des myrmécophages) ; ce n'est pas le métier du pic-vert.
(Extrait de "L'oiseau du mois")
Le début de l’année a été marqué par la routine des indigestions habituelles. L’homme, en effet, au début du solstice, fête l’hiver en ruinant son foie. L’oie traîne le sien comme un fardeau. Le financier aisé le déguste avec des truffes dans une porcelaine de grand prix. Le financier moins aisé, comme le facteur rural, le marchand de singes ou le poète lyrique, le mange avec des « pommes salade » dans une assiette de moindre prix. Sous une forme atténuée, telle le fromage de tête.
Ces excès épaississent le sang et figent la bile dans le canal cholédoque. On prendra des bouillons légers et des pharmacies décapantes pour écouvillonner les coudes de l’intestin. Un jeûne léger, des musiques douces et des rêves optimistes chasseront petit à petit le plus gros du délire. Les urines deviendront plus claires. L’épouse se promènera dans tout l’appartement en agitant du papier d’Arménie. Les amis auront le droit d’apporter des oranges, des proverbes, des mandarines. Le médecin présentera sa note.
(la passé, le présent, l’avenir et l’almanach Vermot – la Montagne – 2 janvier 1962)