Décembre

L’homme, en décembre, saute sur place et se frappe les mains avec violence : c’est pour mieux faire circuler le sang. La cigogne reste en Egypte. L’escargot se bouche. La vipère, ankylosée par le froid, ne mord plus, mais le tigre reste dangereux. On le piègera dans la jungle en ayant soin de faire le moins de bruit possible pour ne pas l’effrayer trop tôt.

(L’almanach des quatre saisons)

Décembre voit entrer le soleil dans le solstice d’hiver par la porte du Capricorne et l’enrhumé à l’officine par la porte du pharmacien.

(L’almanach des quatre saisons)



Quoi qu’il en soit, décembre est un mois noir, comme le nuage, comme le froid, comme le loup.

La neige qui le souligne accentue ses ténèbres.

Noël est sa dorure.

(La Montagne – 21 décembre 1965)

L’hiver remonte à la plus haute antiquité. Il y eut même une « période glacière » pendant laquelle il durait toute l’année.

La France était couverte de neige. On ne voyait plus que les coqs des clochers. Le mammouth s’ébrouait autour. On a retrouvé des œufs de mammouth jusqu’au bord de la nationale 7.

(Almanach des quatre saisons)


La neige est tombée sur paris. Pendant qu’on regardait autre part.

Le lendemain, de chaque côté de chaque rue, il y avait de grandes brioches de neige, tout du long, à égale distance. Elles avaient bien deux mètres de haut.

En plongeant une fourchette dedans, on en sortait, comme une quenelle d’un vol-au-vent, une 2 CV, une 403 ; quelquefois rien (l’auto avait été volée) ; parfois une dame âgée, un prêtre unijambiste, une petite fille, un sergent de ville, un chien qui faisait pipi. Un sous-préfet, près du pont de Bercy.

Devant la Closerie des Lilas, il y avait un grand cône de neige, un espèce de pain de sucre immense ; il en sortait une épée de bronze ; en tirant dessus, on eût extrait le maréchal Ney ; comme les racines d’une incisive.

(La Montagne – 25 janvier 1966)



Paris est gris derrière un petit brouillard lilas, et parfois doré d’un or pâle ; un or froid.

Les grands monuments se font plus irréels et plus majestueux au bout des perspectives bleutées.

Ensuite la nuit grouille de lumières.

(La Montagne – 9 décembre 1958)

Les feuilles tombent. Les feuilles sont tombées. Il n’en reste plus que dix et demi aux marronniers du boulevard Arago. On peut en faire le compte : elles sont sur le même arbre.

La brume envahit les avenues. Le soleil entre dans le Capricorne, le gel pénètre dans la terre, l’escargot se bouche, la vipère s’engourdit, les lacets de souliers deviennent friables (le sage les plonge dans du vinaigre chaud pour les empêcher de casser).

L’année s’enfonce dans les ténèbres. Le Noël et la Saint-Sylvestre y brillent au loin comme des lumières. L’arbre de Noël se reflète dans les eaux bourbeuses de l’année.

(Considération d’un profane sur l’enseignement du français – La Montagne – 27 décembre 1970)

Voici les derniers jours de l’année. La lumière est plus jaune et le soleil plus bas. Il entre dans le signe du Capricorne.

L’agriculteur sérieux coupe le bois de ses charrues, tresse les paniers et taille la betterave en morceaux. Il plante l’ail et la rocambole. Il dévore la culotte-de-suisse, il cueille l’épine-d’hiver, la véronique agreste et le tussilage odorant.

L’enfant qui naît à cette époque a les yeux couleur de muraille et l’oreille largement ouverte. Tout le prédispose à faire carrière dans la réforme de l’enseignement.

La truffe arrive du Périgord, le jéroboam de Champagne, le stockfisch de Norvège, et la baleine de Suède ; le Mexique envoie le cœur de palmier ; le cuissot de chevreuil vient de Sologne, la robe dorée de chez Dior, le Pommard de Bercy. Le flacon à musique joue « la Valse de l’Empereur », le Grand-Marnier se sert dans un flacon en opaline.

Telles sont les fêtes.

Le brouillard tombe, les lumières brillent, la danse fait rage, et l’Auvergnat fait des économies.

(Derniers jours de l’année – La Montagne – 27 décembre 1960)