Voici avril, ses pluies de Pâques. Le merle et le corbeau couvent leurs œufs verts. Le béret se fait en paille tricotée, le tailleur classique prend des manches kimono, « le dos se décolle », le citadin part en vacances. De préférence dans des endroits humides. La mode est, en effet, de s’accorder aux saisons, de prendre en été des vacances de soleil, en hiver des vacances de neige.
Au printemps, on aimera l’ondée. Elle tombe sur la gouttière avec un bruit de guitare.
Le ciel est gris, les maisons noires, c’est le moment des vacances de pluie.
La pluie éclaircit le teint, rafraîchit les humeurs, assouplit les imperméables qui, sans elle, deviendraient cassants. On choisira de préférence un petit deux-pièces un peu obscur dans une banlieue de cité minière.
On s’éclairera à la lampe à pétrole. Un boa, un lapin, une vache, à la cuisine, rappelleront l’Arche de Noé. On lira des ouvrages sérieux, on vivra de quelques crudités, on ira regarder la pluie sur la pas de la porte.
Le soir, assis sur le seuil de brique, en face du grand mur de l’usine noirci par la fumée des fours, on tricotera, comme la Bretonne sous les embruns, au moyen d’une laine noire emperlée par l’averse, des pull-overs pour orphelins. On entendra siffler l’express au fond des campagnes mouillées.
Ces plaisirs sont parmi les plus purs.
(Almanach des quatre saisons)
C’est pourquoi les enfants d’avril ont une vieillesse pleine de soucis. On les trouve à l’automne, en fin d’après-midi, dans un tout petit café-tabac de la rue Saint-Jacques où la lumière est d’un jaune pâle, autour de quelques verres de vin blanc. Ils font semblant de lire le journal, ils rêvent d’une grande expédition d’où ils ramèneraient des oiseaux bleus et jaunes, et chassent les mouches d’un geste machinal. C’est là que se réunit aussi l’Amicale des sonneurs de trompe. Elle répète au sous-sol, au fond d’une cave obscure, pour ne pas déranger les voisins, et tandis que les enfants d’avril rêvent des autruches et des serpents qui pourraient payer leurs dernières dettes, ils entendent faiblement les cors qui sonnent la mort du cerf dans les entrailles du sol.
Ces circonstances les dépriment beaucoup malgré leur robuste optimisme. C’est pourquoi, au printemps, ils reviennent au pays afin de respirer l’air natal. Ils y meurent dans leur lit par une journée d’avril qui sent légèrement la vase molle et où le tonnerre roule sans fracas à l’horizon.
(La Montagne – 2 avril 1967)
La mode, au mois d'avril, est aux vacances de pluie, comme en hiver aux vacances de soleil, en été aux vacances de neige. On choisira un gîte en harmonie avec le charme monotone des longues averses, cher à la comtesse de Noailles. Par exemple une cave de banlieue. Avec une vue sur un terrain vague, par un soupirail grillagé. Près d'une usine. On y goûtera une paix profonde. On fera des lectures apaisantes, telles que celle des horaires de la SNCF. On jouira du fantastique et de la température des caves. Peut-être même, avec un peu de chance, un homme se pendra-t-il au dessus du soupirail. On pourra voir ses jambes balancées par le vent avec un pantalon pied-de-poule sur ses bottes noires. On sera pris de grandes exaltations, peut-être même de ces crises nerveuses que les médecins appellent "mal des spéléologues", car il arrive qu'un séjour dans les cavernes intoxique comme le chanvre indien. On reviendra affamé de la vie.
Que demander de plus à de modestes vacances ?
(Chroniques de La Montagne - 26 mars 1963)
Les grenouilles chantent. Les cyclones, les typhons ravagent la zone torride. Le soleil fond les banquises, un vent froid vient du nord. L’homme éternue.
On a même calculé que l’air qu’il rejette dans ce mouvement convulsif fait cent soixante-deux kilomètres à l’heure.
Le Français, pris dans un courant d’air, ne sait s’il doit enlever son manteau. Le proverbe le lui déconseille : « En avril, ne quitte pas un fil ».
Mais la tradition veut qu’à Pâques, l’homme, renouvelé, change de toilette.
(Almanach des quatre saisons)
Des feux d’herbe à l’âcre fumée s’allument çà et là sur les pentes. La lessive, sur des fils de fer, sèche avec des courbures de voile. Les nuages roulent comme des boules molles.
Les fossés sentent la verdure neuve et la vase sèche.
Un avion passe. Les jours aussi.
(Adam, avril 1965)
La neige tombe sur le haut Cantal. La mer se soulève en Bretagne et dans le golfe de Gascogne.
En Auvergne, l'avalanche arrête les morts: un fourgon mortuaire a dû faire demi-tour, le chasse-neige n'a pu ouvrir la route.
Ce sont les risques du mois d'avril.
("Le procès" de kafka - e Spectacle du Monde - Mai 1962)
Le 1er, le poisson fait mille espiègleries, le 15 la vache devient amoureuse (son mugissement, assurent les spécialistes, prend un accent plus féminin) ; le 20 le Soleil entre dans le signe du taureau ; le 21 naissent Rome, Hitler et Montherlant.
L’étalon se cabre et secoue sa crinière. L’éleveur sérieux marie sa vache et son ânesse. Les champs de jacinthes recouvrent la Hollande d’une sorte de porcelaine et leur parfum grise le meunier. Son moulin à vent va trop vite, son moulin à vent va trop fort.
Le 25 la lune rousse grille la végétation. Dans l’estuaire de la Gironde on aura intérêt à pêcher l’esturgeon, plus riche en caviar que l’ablette. L’oryctérope se fait moins casanier. Le hanneton mène une vie de débauches. Le tatou devient affectueux.
L’homme également. Du moins le Français ; jamais il ne se marie autant (1 250 mariages par jour).
(Poissons d’avril et de toujours – La Montagne – 5 avril 1960)
Mais voici l’aube, toutes les feuilles ont poussé. A Bagatelle, les magnolias aux grosses fleurs blanches ont l’air fleuris d’œufs à la coque ; et sous les cèdres, les « narcisses incomparables » mettent des flammes jaunes dans l’ombre noire. Rien n’est plus lumineux que la lumière d’une fleur jaune quand elle éclaire un endroit ténébreux.
La nuit d’avril essuie ses brumes et chasse ses songes. Les « petits personnages » s’évaporent.
La vie est là comme une pelouse.
(Tchin-tchin – 7 avril 1959)