L’été a été là d’un seul coup, avec ses roses et sa verdure épaisse. La grive s’est tue. L’homme met son caleçon de bain. Le grillon meurt. Le coucou se gorge de chenilles.
(Le désert, c’est l’éternité - Spectacle du Monde – août 1970)
La paix des champs s’étend sur eux comme une espèce de substance autonome, silencieuse, transparente, magique. Les poires pendent comme du plomb et font plier les branches. Les roses trémières ont trois mètres de haut. Leurs fleurs ont l’air de la lumière des cierges. Dans les chambres des vieilles maisons, longtemps abandonnées par l’homme, le petit chat saute à droite et à gauche après l’ombre des papillons.
(La vie de bohème - La Montagne – 6 août 1967)
On dit que la terre est ronde. Mais c’est une plaisanterie.
Il n’y a d’ailleurs qu’à la regarder. Elle est couverte de bosses, de cicatrices, de gros furoncles, toute mal cuite et toute mal fichue ; ravinée de crevasses, de rides de creux, de sillons, percée de trous comme un gruyère.
Des trous pleins d’eau.
C’est ce qui permet de prendre des vacances. Si la terre était ronde, il n’y aurait pas de vacances. L’homme ne pourrait plus se reposer. Les vacances le jettent en effet, à pleines poignées, à la surface du globe. Grâce aux trous et aux bosses, les uns tombent dans les trous et les autres s’accrochent aux bosses.
Ceux qui tombent dans les trous, tels que la mer de Chine ou la mer Méditerranée, le lac Servière et la Loire inférieure, se mettent à nager vigoureusement pour échapper à la noyade. D’abord les bras, ensuite les jambes. Une, deux : une, deux.
Et ainsi de suite. Bien en cadence.
On dirait des grenouilles.
C’est très joli à voir.
(La Montagne – 4 août 1964)
Ceux qui tombent sur les pics se cramponnent tant qu’ils peuvent.
Ils s’accrochent avec de grands clous, ils s’élèvent avec des ficelles. Ils compliquent savamment le travail. Ils choisissent le côté de l’à-pic. Ils s’écrasent au fond des abîmes.
Mais les plus sages montent en pente douce, de l’autre côté.
Les enfants, les vieillards, les femmes, l’unijambiste. Ils jouissent de la vue. Ils transpirent légèrement. Ils s’essuient le front avec un mouchoir à carreaux. Ils regardent avec des jumelles. Ils voient le voleur qui entre chez eux, par la fenêtre, pour aller voler leur stylo.
Demain, ils sauront le dénoncer.
A mi-pente, ils boivent à l’auberge. Ils mangent des choses très nourrissantes, pleines de vitamines B et de ferments lactiques. De gros lapins « sautés chasseur » dépouillés de leur peau à la cuisine par une vieille dame, de grands fromages ronds avec des étiquettes en rouge, bien crémeux et bien élastiques ; des légumes bien dépuratifs, des salades, des yaourts et des pâtés de cerf.
Ils chantent en chœur et ils brandissent des saucissons.
L’écho renvoie leurs voix joyeuses.
(La Montagne – 4 août 1964)
La chaleur accable la terre, la nuit est bleue, le lézard court le long des murs, le moissonneur moissonne et boit à la bouteille avec une grande avidité. dans le square, la statue du poète folklorique brûle les doigts des enfants qui viennent y écrire leur nom sur son pantalon de bronze moulé.
(Almanach d’août – Almanach des quatre saisons)
Le mois d’août date de la plus haute antiquité. Il se caractérise par une chaleur atroce. Il faut l’avoir vécu soi-même pour pouvoir s’en faire une idée.
Le sergent de ville colle au bitume de la chaussée. L’Auvergnat ne porte plus que trois ou quatre lainages. Le loup, déshydraté, tombe au bord de la route.
Ramassez le loup, arrachez-lui la peau, doublez-la d’une satinette rouge, faites-vous en une descente de lit.
Les brasseurs édifient des fortunes incroyables, ils ne voyagent plus qu’en première de métro.
Le sous-préfet part en vacances dans le Var. Les villes se vident, il ne reste plus dans les villages que la bicyclette des facteurs devant le café du Commerce.
(Almanach d’août – Almanach des quatre saisons)
Le ciel est bleu, les marronniers roussissent. Et c’est quand même un été froid.
Abandonnés du président de la République, du boulanger, de la blanchisseuse, du percepteur, les veufs, les chiens et les vieillards errent au hasard à travers les rues vides, à la recherche d’un aliment. D’un os de seiche, d’un pain d’oiseau, d’une consigne, d’une raison de vivre.
L’homme a besoin d’un os à ronger. D’une main qui le guide, d’un cerveau qui le gouverne, de quelqu’un qui prenne ses sous. D’une femme, d’un sergent, d’un ministre.
Mais sa femme est à Nice, son percepteur à Naples, son boulanger à Saint-Tropez, son chef d’État serre des mains cambodgiennes parmi des ovations mongoles.
Résumons-nous, l’homme du mois d’août est orphelin. C’est un conscrit sans adjudant, un repas sans vin, un cheval sans plumes ; c’est un vignoble sans soleil.
(Chronique des vaches en sucre – La Montagne – 30 août 1966)
Les parisiens reviennent de vacances. Suivis de leurs chiens et de leurs enfants. Les vieillards poussent l’automobile. Les épouses portent le transistor. Il étonna la vache au sommet du Mont Blanc et la sardine au fond de la baie des Trépassés ; il fit danser sur un air de cha-cha-cha la vague noire de la pointe du Raz.
De longues files se sont formées aux portes de la capitale. Grandes migrations, poussière, sueur, matelas pliant. Chacun, en ville, attend sur le pas de sa porte un être cher avec des boissons réconfortantes.
Mais comment reconnaître son monde ?
Les vacances ont tout transformé. La tante Josiane, qui était une magnifique personne, une blonde abondante et laiteuse, une vraie réclame pour les vins et les fromages, est revenue comme un hareng saur. Il a fallu bronzer, il a fallu maigrir. Les magazines ne plaisantent pas sur ce chapitre.
Elle était ronde, dorée, juteuse comme une orange ; elle avait l’air d’un bouquet de lys ceinturant une touffe de pivoines et couronnée d’une gerbe de blés mûrs ; on aurait dit, en bref, un plat de fraises à la crème ; on s’en passait la langue sur la bouche. C’était la « Chanson des Blés d’or ».
Elle est revenue ratatinée, noire et poreuse, un peu friable, comme un petit morceau de charbon de bois.
On quitta la Madelon, on retrouve un squelette. On laissa un Rubens, on découvre un Buffet.
(Chronique des retours amoindris – La Montagne – 5 septembre 1961)