- Enfance

Mon enfance, ma libre et solitaire adolescence, toutes deux préservées du souci de m’exprimer, furent toutes deux occupées uniquement de diriger leurs subtiles antennes vers ce qui se contemple, s’écoute, se palpe et se respire. Déserts limités , et sans périls ; empreintes, sur la neige, de l’oiseau et du lièvre ; étangs couverts de glace, ou voilés de chaude brume d’été ; assurément vous me donnâtes autant de joies que j’en pouvais contenir.

Dois-je nommer mon école une école ? Non, mais une sorte de rude paradis où des anges ébouriffés cassaient du bois, le matin, pour allumer le poêle, et mangeaient, en guise de manne céleste, d’épaisse tartines de haricots rouges, cuits dans la sauce au vin, étalés sur le pain gris que pétrissaient les fermières…

(…)

Pourtant ma vie s’est déroulée à écrire… Née d’une famille sans fortune, je n’avais aucun métier. Je savais grimper, siffler, courir, mais personne n’est venu me proposer une carrière d’écureuil, d’oiseau ou de biche.

(Journal à rebours)