Collection de poèmes 000

01 - dorénavant

dorénavant tu n’élèveras plus la voix pourdemander ton dûparce que nul ne te doit riensache que ton compte est bonsinon tu iras rejoindre l’oiseau-lyre le polissonle chanteur maladroit le miroir à trois facesle spectre de ton père l’oliphant Eurydicele tas d’ordure avec toutes les couleursdorénavant tu te tiendras pour n’étant paset ça suffit comme ça


Michel Seuphor



02

au balcon dans le rêve, deux fois, vague,dans l’hosanna, deux fois,
ce que tu cherches. une semelle infinie.
la gauche du sens se souvient.un appui. dans le vide.toi-de-jasmin-et-de-vérité :fenêtre. puis.perdu. au centre. je tegarde.


Mathieu Bénézet




03

Il enseignait à lire à l’équateur.Il tenait un requin entre les dents.Sous ses genoux ronflait une forêt.Il avait pour esclave un horizon.De temps en temps, d’un coup d’ongle, il caressaitsa montagne plus douce qu’une chatte.L’océan, pris de peur, obéissaità ses deux yeux qui étaient l’océan.Une femme parut. Les gypaètes,les ressacs, les moissons, les tramontanes :toute sa vie qui était étoiléerentra, honteuse et triste, sous sa peau.


Alain Bosquet




04 - Légende des légendes

Nous sommes au bord de l’eau,le platane et moi.Notre image apparaît dans l’eau :le platane et moi.Le reflet de l’eau nous effleure,le platane et moi.
Nous sommes au bord de l’eau,le platane, moi et puis le chat.Notre image apparaît dans l’eau :le platane, moi et puis le chat.Le reflet de l’eau nous effleure,le platane, moi et puis le chat.
Nous sommes au bord de l’eau,le platane, moi, le chat et puis le soleil.Notre image apparaît dans l’eau :le platane, moi, le chat et puis le soleil.Le reflet de l’eau nous effleure,le platane, moi, le chat et puis le soleil.
Nous sommes au bord de l’eau,le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie.Notre image apparaît dans l’eau :le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie.Le reflet de l’eau nous effleure,le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie.
Nous sommes au bord de l’eau,Le chat s’en ira le premier,dans l’eau se perdra son image.Et puis je m’en irai, moi,dans l’eau se perdra mon image.Et puis s’en ira le platane,dans l’eau se perdra son image.Et puis l’eau s’en ira.Le soleil restera,puis à son tour il s’en ira.
Nous sommes au bord de l’eau,le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie.L’eau est fraîche,le platane est immense,moi j’écris des vers,le chat somnole,nous vivons Dieu merci,le reflet de l’eau nous effleurele platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie.


Nazim Hikmet




05
non plus frappe l’arôme de la saveur du jaune sur le son du vert charme soupirant au toucher du rose aux éclats de rire le regard du parfum évanoui du bleu du vide modèle la colombe liquide du chant évaporé de la lumière aveuglée par le cri de la chaleur mirant son corps dans l’air frais sonne le tocsin si doux de l’absence des heures arrachées du silence

Pablo Picasso




06 - retouche à la béatitude


dans un suspens du bel étéla plaine sous un arbretourne en disque voilé
l’oiseau dans le silence ensoleillélaisse une note qui s’attardeon touche à quelque éternité

Daniel Boulanger



07


Je crois qu’une feuille d’herbe est à la mesure des étoiles,Que ne sont pas moins parfaits la fourmi, le grain de sable, l’œuf du roitelet,Que la rainette est un chef-d’œuvre des plus consommés,Que la ronce des mûres serait digne de couvrir les corridors du ciel,Que le plus infime rouage de ma main est une mécanique incomparable,Que la vache qui rumine l’herbe tête humblement baissée est une statue sans rivale,Qu’une souris est un miracle propre à ébranler des sextillions d’infidèles.


Walt Whitman




08 - retouche à l’âge


toujours en moil’enfance de branche en branchejusqu’au faîte de l’instant


Daniel Boulanger



09


De toute façon tu oublierasce qui fut et tout te semblerafutile comme un chapeau d’enfant :les clés les cris les jardins les routeset même ces grandes marges d’avenirque tu avais cru si longtemps ouvertes.Peut-être restera-t-il un oiseausur une branche d’hiver qui inventerapour lui seul un désir de ciel ou de grainedans la stupéfaction des couleurs.

Lionel Ray




10 - Allegro en a clarissimo


Une flamme toute clartés’insurgea dans le très béat matin naissant.Les heures attendaientapeurées sans parler.
Une ombre pavane dansait et une autre ombre armaitson arc contre le parfum disparu de l’accalmie.
Le soleil, mâle rageur, enrageait aphasiqueet le blond paradis de l’âme s’échappait
Une flamme inconnue se faisait chantefableet le matin entra sans façon dans nos âmes.

Pablo Neruda