Collection de poèmes 025

251


La femme en qui l’or loge et qui, tournant les talons, aiguille, faire montre de goût sait et a l’heur éternellement de plaire au temps.


Hervé Cueff




252 - Psaume
Personne ne nous repétrira de terre ou de limon,personne ne bénira notre poussière.Personne. Loué sois-tu, Personne.Pour l'amour de toi nous voulonsfleurir.Contre toi. Un riennous étions, nous sommes, nousresterons, en fleur ;la rose de rien, depersonne. Avec le style clair d'âme,l'étamine désert-des-cieux,la couronne rougedu mot de pourpre que nous chantionsau-dessus, au-dessus del'épine.

Paul Celan

(Psalm Niemand knetet uns wieder aus Erde und Lehm,niemand bespricht unsern Staub, Niemand. Gelobt seist du, Niemand,Dir zulieb wollenwir blühn.Direntgegen. Ein Nichtswaren wir, sind wir, werdenwir bleiben, blühend :die Nichts-, dieNiemandsrose. Mitdem Griffel seelenhell,dem Stabufaden himmelswüst,der Krone rotvom Purpurwort, das wir sangenüber, o überdem Dorn.)




253 – Attente Les hirondelles du souvenirVoyagent d'un doigt à l'autreEt sur le bout du doigtLe Lézard vert de l'avenirMange les mouches du cœur.Je donnerai cette pastilleA la langue qui baisera l'ennui fidèle,J'accepterai la mainQui donnera des graines de soleil,De lune, d'étoiles et de nuagesÀ mon perroquet vert.Je crie :À moi, à moi, à moi !Mais je sais bien que ce n'est qu'un perroquet à l'œil vorace,Car je n'appelle pas, ni moi, ni vous ni personne.Sous le masque j'ai mis le vide.Dans le vide j'ai mis les mille lettres de l'alphabet,Cela fait un beau concertBien qu'il n'y ait personne.Et pourtant j'attends, j'attends,J'attends le zéro qui ne viendra jamais. Georges Ribemont-Dessaignes


254 - Aube

J’ai embrassé l’aube d’été.Rien ne bougeait encore au fond du palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois.J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats ne fleur qui me dit son nom.Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.Alors je levais un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. A la grand-ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.En haut de la route, près du bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.Au réveil il était midi.

Arthur Rimbaud



255 Je m'en irai bientôt. Parfois, j'irai à pied. Parfois, je me ramasserai rondement et j'irai léger, par cumulets ou par bonds, ou flottant sur l'eau, ou prenant un courant d'air ascendant pour une brève élévation du regard. Je me laisserai tirer par la pesanteur ou pousser par les vents. Parfois, je prendrai un peu d'inertie en boule. Comme les chats.
Dominique Massaut

256 – Chanson Elle avait des yeux verts et bleusQuelquefois mer, quelquefois cieux,Et c’était une étrange fête Son rire était éblouissantFait de multiples diamants,Mais doux comme un chant de fauvette.
Quand dans les bois nous promenionsLes lilas et les liseronsPour la mieux voir haussaient la tête.
Il se peut bien que je l’aimais.En tous les cas, je me plaisaisA sa fraîche bouche indiscrète.

Henri Bellaunay


257 - Temps Je ne sais de l'enfancequ'une peur lumineuseet une main qui m'entraînevers mon autre rive.Mon enfance et son parfumd'oiseau caressé. Alejandra Pizarnik


258 – Le bonheur Celui qui embrasse une femme est Adam. La femme est Eve.Tout se passe pour la première fois.J’ai vu une chose blanche dans le ciel. On me dit que c’est la lune, maisque puis-je faire avec un mot et une mythologie ?Les arbres me font peur. Ils sont si beaux.Les animaux tranquilles s’approchent pour que je dise leur nom.Les livres de la bibliothèque n’ont pas de lettres. Quand je les ouvre, elles surgissent.Parcourant l’atlas je projette la forme de Sumatra.Celui qui brûle une allumette dans le noir est en train d’inventer le feu.Dans le miroir, il y a un autre qui guette.Celui qui regarde la mer voit l’Angleterre.Celui qui profère un vers de Liliencron est entré dans la bataille.J’ai rêvé Carthage et les légions qui désolèrent Carthage.J’ai rêvé l’épée et la balance.Loué soit l’amour où il n’y a ni possesseur ni possédé mais où tous deux se donnent.Loué soit le cauchemar, qui nous dévoile que nous pouvons créer l’enfer.Celui qui descend un fleuve descend le Gange.Celui qui regarde une horloge de sable voit la dissolution d’un empire.Celui qui joue avec un couteau présage la mort de César.Celui qui dort est tous les hommes.Dans le désert, je vis le jeune Sphinx qu’on vient de façonner.Rien n’est ancien sous le soleil.Tout se passe pour la première fois, mais éternellement.Celui qui lit mes mots est en train de les inventer.
Jorge Louis Borgès





259
La folle douceur de tes seins j’emporterai lorsque j’irai dieu sait où me frotter à dieu sait quoi de rêche de froid d’hostile je me souviendrai peut-être que la Terre fut complice de nos rêves et les prévenait parfois

Roland Reutenauer



260.


liste des choses arrivéeset liste des choses à venir
sur le même feuillet, recto versoavec la même encre, la sépia
dix mille choses sont arrivéesquinze ou vingt encore à venir
je serre dans ma pochel’obole pour le nocher
debout au bord du débarcadère
debout au bord du débarcadère




Lambert Schlechter