Collection de poèmes 023

231 - L’année
L’année était du temps des souvenirs,Le mois était de la lune des roses,Les cœurs étaient de ceux qu’un rien console. Près de la mer, des chants doux à mourir,Dans le crépuscule aux paupières closes ;Et puis, que sais-je ? Tambourins, paroles. Cris de danse qui ne devaient finir,Touchant désir adolescent qui n’oseEt meurt en finale de barcarolle. — T’en souvient-il, souvient-il, Souvenir ?Au mois vague de la lune des roses.Mais rien n’est resté de ce qui console. Est-ce pour dormir, est-ce pour mourirQue sur mes genoux ta tête reposeAvec la langueur de ses roses folles ? L’ombre descend, la lune va mûrir.La vie est riche de si douces choses,Pleurs pour les yeux, rosée pour les corolles. Oui, vivre est presque aussi doux que dormir…Poisons tièdes pris à petites dosesEt poèmes pleins de charmants symboles. Ô passé ! pourquoi fallut-il mourir ?Ô présent ! pourquoi ces heures moroses,Bouffon qui prends au sérieux ton rôle ! — L’année était du temps des souvenirs,Le mois était de la lune des roses,Les cœurs étaient de ceux qu’un rien console. Mais tôt ou tard cela devait finirDe la très vieille fin de toutes chosesEt ce n’est ni triste, vraiment, ni drôle. Des os vont jaunir d’abord, puis verdirDans le froid moisi des ténèbres closes,— Fin des actes et fin des paraboles. Et le reste ne vaut pas une obole.

Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz


232 Odeurs d'automne, muettes. Lafleur-étoile, non brisée, passaentre lieu natal et abîme à traversta mémoire. Une perditude étrangèreavait pris corps, tu avaisfaillivivre.
Paul Celan.

233 Aujourd’hui je n’ai rien fait.Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.Des oiseaux qui n’existent pasont trouvé leur nid.Des ombres qui peut-être existentont rencontré leurs corps.es paroles qui existentont recouvré leur silence.Ne rien fairesauve parfois l’équilibre du monde,en obtenant que quelque chose aussi pèsesur le plateau vide de la balance.
Roberto Juarroz
234 C’est une chose pleineque l’été qui se penche sur le crépusculeAux branches fines les sorbes intacteset hors de toute pesanteur le tempsAoût aussi proche que le chardon du cheminLes jours d’un pied plus courtsDes lambeaux de conversation sous l’étoile fragileOn a peine à croire qu’aux premiers fourrésl’automne approcheLes arbres sont encore ancrés par leurs racines comme des cloches La certitude pèseQue toute plainte soit superflue émerveille Jan Skacel

235 La rue avec ses lumières foraines. Le ciel parfois nous pousse à lever la tête. Un poème aère du fracas des tempêtes. On a gardé au grenier la malle des enfants. Au loin, une passerelle murmure voyage. Les freins sont à l'esprit comme les graviers à l'air. Nous devons nous alléger.

Philippe Leuckx
236 Et voici un très bref manuel de cuisine pour la Pêche à la truite en Amérique, comme si la Pêche à la truite en Amérique était un riche gourmet, et si la Pêche à la truite en Amérique avait Maria Callas comme petite amie, et qu’ils dînaient ensemble à une table de marbre éclairée par de splendides bougies.Compote de pommes.Prendre une douzaine de belles pommes golden, les éplucher soigneusement, ôter le trognon avec un couteau pointu ; les mettre dans l’eau et les ébouillanter ; prendre un peu de cette eau de cuisson, y ajouter du sucre, et quelques pommes coupées en tranches, et faire réduire jusqu’à consistance de sirop ; verser alors sur les pommes, garnir de cerises de conserve et de zestes de citrons. Veiller à ce que les pommes restent entières.Et tandis qu’ils mangeaient les pommes, Maria Callas chanta pour la Pêche à la truite en Amérique.(…)

Richard Brautigan


237- Quelque magie


De blé en blé, de livre en livre se formule comme un besoin d’aimer. De galop en galop, de nuque sèche en nuque humide se confirme un désir de comprendre ou la route affolée
ou le chêne qui tombe en crachant son feuillage. D’azur en azur blanc, de mouche en coccinelle se précise un accord : et si c’était sur l’aube, et si c’était sur la musique de l’absence ?
De mot en mot, de ventre dur en ventre mou, s’écrit la loi : celle du rêve dans l’éveil, celle du doute qui nourrit la certitude.
D’alizé en parfum, de caresse en caresse - dialogue du sable avec l’oiseau perdu – s’impose une magie où le monde se noie.

Alain Bosquet






238 je me suis absenté des traces qui m'attendaient des souvenirs qui me précédaient, des nuits qui complotaient contre moi, perdu depuis je creuse et ma pioche ricoche dans le vide pailleté d'insouciance,

Paul Poule

239- Retouche à la fleur

sur une septième du ciell’herbe montevers la petite éternité d’un oui


Daniel Boulanger


240 – Dimanches Des champs comme la mer, l’odeur rauque des herbes, Un vent de cloches sur les fleurs après l’averse, Des voix claires d’enfants dans le parc bleu de pluie, Un soleil morne ouvert aux tristes, tout cela Vogue sur la langueur de cet après-midi... L’heure chante. Il fait doux. Ceux qui m’aiment sont là... J’entends des mots d’enfant, calmes comme le jour, La table est mise simple et gaie avec des choses Pures comme un silence de cierges présents... Le ciel donne sa fièvre hélas comme un bienfait... Un grand jour de village enchante les fenêtres... Des gens tiennent des lampes c’est fête et des fleurs... Au loin un orgue tourne son sanglot de miel... Oh je voudrais te dire....


(Léon-Paul Fargue)