Collection de poèmes 119

191
On allait nicher un peu de nous dans le vent, galoper au parfum de rose, sauver l'enfance à coup de flèches, savoir si peu et porter si loin l'odeur de la paille et des granges ouvertes. On allait.

Philippe Leucks

192 les arbres chargés de tisanes roses dans la brume du beau temps. et les éclats de chrome – la semelle des murs et des escargots lents - mort d’un hérisson – l’alsace en juin grand homme bleu évanoui d’air : bonheur blond – encens gris des petits feux-de-foin.
Jean-Paul Klee
193 Pomme ronde, poire, banane et groseille… Tout cela parle de vie, de mort dans la bouche. Je sens… Lisez plutôt sur le visage de l’enfant lorsqu’il mord dans ces fruits. Oui, ceci vient de loin. Sentez-vous l’ineffable dans votre bouche ? Là où étaient des mots coulent des découvertes, comme affranchies soudain de la pulpe du fruit. Osez dire ce que vous nommez pomme. Cette douceur qui d’abord se concentre, puis, tandis qu’on l’éprouve, doucement érigée, se fait clarté, lumière, transparence. Son sens est double : terre et soleil. Expérience, toucher : ô joie immense !
Rainer Maria Rilke


194 Je me rappelle un jour de l’été blanc, et l’heure Muette, et les cyprès… mais tu parles : soudain Je rêve les yeux clos, à travers le jardin D’une source un peu rauque, et qu’on entend qui pleure. Paul-Jean Toulet

195 - église des pins… église des pins des grillons bancs de l’anis quand je dormais coulait bas la lune attenante je vois toutes les buées où j’écrivis du doigt au carreau, je veux que ce soit janvier, jaunissent des yeux rosés de la lumière lancinante les murs de craie et les jardins cillant de froid je saluais les tempes minces de la montagne une crête de neige tendait ses antennes fraîcheur invisible remuée en fontaine j’étais en Paradis, ah, j’étais en Cocagne seule, l’eau, l’incertaine… Jacques Roubaud

196 – Clé de voûte Dans le cloître, à Chester, le muret du jardin est si bas que les jeunes filles assises sont tenues de fermer les genoux. Deux grandes qui ont oublié les ouvrent. Les courbes y sont pures, elles convergent dans l’ombre comme au faîte de la cathédrale. Le gothique est un art plus ancien qu’on ne dit.
Georges L Godeau

197 - La vie s'enroule
Nos miroirs tous seuls, qui se rappellent-ils ? Ombres entre tain et glace, avec un amour serré dans l'intervalle, comme un cheveu sur une langue ? La vie s'enroule, on est rêvé toutes les nuits et le chat rêve deux fois plus que nous, étant plus proche avec ses yeux jaunes des fissures vers l'infini
Marie-Claire Bancquart
198 Assiettes en faïence usées Dont s’en va le blanc, Vous êtes venues neuves Chez nous. Nous avons beaucoup appris Pendant ce temps. Guillevic
199 Ô la splendeur de notre joie, Tissée en or dans l’air de soie ! Voici la maison douce et son pignon léger, Et le jardin et le verger. Voici le banc, sous les pommiers D’où s’effeuille le printemps blanc, À pétales frôlants et lents. Voici des vols de lumineux ramiers Plânant, ainsi que des présages, Dans le ciel clair du paysage. Voici – pareils à des baisers tombés sur terre De la bouche du frêle azur – Deux bleus étangs simples et purs, Bordés naïvement de fleurs involontaires. Ô la splendeur de notre joie et de nous-mêmes, En ce jardin où nous vivons de nos emblèmes ! Là-bas, de lentes formes passent, Sont-ce nos deux âmes qui se délassent, Au long des bois et des terrasses ? Sont-ce tes seins, sont-ce tes yeux Ces deux fleurs d’or harmonieux ? Et ces herbes – on dirait des plumages Mouillés dans la source qu’ils plissent – Sont-ce tes cheveux frais et lisses ? Certes, aucun abri ne vaut le clair verger, Ni la maison au toit léger, Ni ce jardin, où le ciel trame Ce climat cher à nos deux âmes.
Emile Verhaeren

200 Un merle quelque part parle de ton visage Posé lune brûlante au fond du bruit Que fait le dur travail des insectes vieillots. Et la brique, oubliée dans l’herbe pour durer, Se réchauffe à ta peau tremblant sur les prairies, Sur les ombrelles consumées Par leur frêle tendresse dans l’effroi De ta beauté de mer sereine sur le monde. Guillevic