Collection de poèmes 017

171 La lune à la petite cuillère à force de regarder le ciel on voit des printemps dans un bout de sucre ma ville il trempe son regard dans la buée du matin près du fleuve bondé de la fonte des rêves Jean-Dominique Burtin 172 C’est mon jour de stupeur assieds-toi sur ma bouche et donne la saveur surprise au goût de fruit dont gémir serait l’ombre aujourd’hui que ton âme ton âme est ton odeur Ludovic Janvier 173 – En face


Au bord du toit Un nuage danse Trois gouttes d’eau pendent à la gouttière Trois étoiles Des diamants Et vos yeux brillants qui regardent Le soleil derrière la vitre Midi

Pierre Reverdy
174 – Ailleurs Dans ce pays, quand le petit garçon cueillait des étoiles, elles saignaient. Les chevaux avaient des ailes et les arbres nageaient dans l’eau du ciel. On cultivait le rêve, on le semait, on le moissonnait et on l’engrangeait : ce qui fait que, lors des « bonnes années », on pouvait manger autant de rêves que l’on voulait. Quand un rêve mourait, on l’enterrait dans des cimetières sans portes et sans tombes. Dans ce pays, il suffisait de dire bonjour pour que le bonheur existât. Il suffisait de dire soleil pour qu’un soleil naquît. Jean Rivet

175 – Monk, blessure Chanson cassée par la cadence brusque du rien à découvert main morte planant sur l’écho Monk hésite qu’est-ce qu’il attend il attend ce creux dans le temps en sentinelle du frisson qui se dresse dans le silence avant que la main gourde retombe à plat sur le fil du rasoir pour la blessure l’accord Ludovic Janvier





176

J’exerce le métier de rivière, l’eau est mon bien naturel, y plongent le martin-pêcheur passé au pistolet à lustre et les canards triangulaires que le double fusil du chasseur ne voit plus, je porte en croupe des bateaux... des bouteilles où le cœur est suspendu... j’ai le don de qualifier des baigneuses par le seul jeu de leur présence en moi les jeunes dames de juillet, je les renvoie humides toutes sur le ciel : alors nos bulles ! nos claires caresses ! en vouloir ! les ciseaux ouverts ! nos nages rondes ! midi aux saules !... la chape de la grande chaleur, la libellule reste piquée dans l’ourlet d’herbe, le jean-le-blanc dorveille sur une branche d’aulne, je vais fondant un royaume de paraffine qui se couronne au soir de fumée paresseuse... et la nuit je laisse à mes rives le soin de m’entretenir, je peigne les algues longues flammes fraîches ondulantes, je berce la sagesse des poissons truites mussées carpes graves ribambelle de civelle à contre-fil... il semble que je découle de la mathématique du soleil, des chandeliers d’œillades brûlent dans mes miroirs, j’ai l’ambition d’une solitude bien partagée.
Henri Pichette

177 – Tout ce que le printemps doit faire
Tirer l’herbe de la terre La peindre en vert Noircir joliment les ombres Faire régner l’amitié ; Déshabiller les serpents Coiffer avec soin les prairies Compter les pétales des roses Frotter les bourgeons, les cétoines Chercher « de la musique » pour les oiseaux Habiller tous les arbres nus Se moquer des écoliers « en retenue » Dorer les toits, les maisons Mélanger les couleurs dans la forêt Semer de la rosée partout, Eveiller les larves sous terre Fourrer de la chaleur dans tous les trous. Sucrer les fleurs pour les abeilles Et faire lever les enfants, Caresser la fourrure des chats, Fourrer de la chaleur dans tous les trous Sucrer les fleurs pour les abeilles Et faire lever les enfants, Caresser la fourrure des chats, Donner leur amande aux noyaux Frantisek Halas




178 mourir le bruit fait par l’hécate de halètements et d’odeurs mon sourire sans adresse éclos en réparation des obscurs il y eut du caressant, tous ne furent pas nuisibles Sophie Loizeau 179 Il faisait froid, le vent soufflait L’herbe, cheveux au vent, était toute frissonnante Alors la taupe et la vache – chacune à sa manière – Lui ont fait un tas de petites casquettes. Frantisek Halas

180 – Le loriot Le loriot entra dans la capitale de l’aube. L’épée de son chant ferma le lit triste. Tout à jamais prit fin. René Char