Par Christophe BUFFET Avocat spécialiste en droit immobilier et en droit public

Christophe BUFFET Avocat

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Christophe BUFFET est avocat à Angers

Le bail emphytéotique ou emphytéose

Généralités et définition

L’emphytéose ou bail emphytéotique peut être défini comme un bail à très long terme.

Essentiellement rural initialement (les dispositions relatives au bail emphytéotique ne se trouvent d'ailleurs pas dans le Code civil mais dans le Code rural), il ne porte cependant pas par nature sur des terres rurales et il peut très bien se concevoir en dehors du monde rural.

C'est une loi du 25 juin 1902 qui a réglementé le bail emphytéotique pour la première fois.

À l'origine, il avait pour objet de permettre la réalisation de travaux ruraux importants. Les caractéristiques initiales restent la longue durée du bail et un loyer peu élevé.

Il s'agit d'un droit réel, qui donne aux bénéficiaires du bail des droits plus importants que ceux qui découleraient d'un bail ordinaire (on rappelle que le bail ordinaire ne confère pas un droit réel mais un droit personnel).

Les dispositions légales concernant le bail emphytéotique sont contenues dans le code rural (article L 451-1 et suivants du code rural), dans la loi du 5 janvier 1988 qui a eu pour objet de permettre aux collectivités publiques de consentir des baux emphytéotiques sur le domaine public (article 13 de cette loi), la loi du 25 juillet 1994 qui accorde aux bénéficiaires d'autorisations d'occupation temporaire du domaine public un droit réel sur les constructions et installations réalisées, pour une durée maximum de 70 ans en leur conférant les prérogatives et obligations du propriétaire.

Les articles du code rural relatifs au bail emphytéotique

Article L451-1

Le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque ; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière.

Ce bail doit être consenti pour plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se prolonger par tacite reconduction.

Article L451-2

Le bail emphytéotique ne peut être valablement consenti que par ceux qui ont le droit d'aliéner, et sous les mêmes conditions, comme dans les mêmes formes.

Les immeubles appartenant à des mineurs ou à des majeurs sous tutelle peuvent être donnés à bail emphytéotique en vertu d'une délibération du conseil de famille.

Lorsque les époux restent soumis au régime dotal, le mari peut donner à bail emphytéotique les immeubles dotaux avec le consentement de la femme et l'autorisation de justice.

Article L451-3

La preuve du contrat d'emphytéose s'établit conformément aux règles du code civil en matière de baux.

A défaut de conventions contraires, il est régi par les dispositions suivantes.

Article L451-4

Le preneur ne peut demander la réduction de la redevance pour cause de perte partielle du fonds, ni pour cause de stérilité ou de privation de toute récolte à la suite de cas fortuits.

Article L451-5

A défaut de paiement de deux années consécutives, le bailleur est autorisé, après une sommation restée sans effet, à faire prononcer en justice la résolution de l'emphytéose.

La résolution peut également être demandée par le bailleur en cas d'inexécution des conditions du contrat ou si le preneur a commis sur le fonds des détériorations graves.

Néanmoins, les tribunaux peuvent accorder un délai suivant les circonstances.

Article L451-6

Le preneur ne peut se libérer de la redevance, ni se soustraire à l'exécution des conditions du bail emphytéotique en délaissant le fonds.

Article L451-7

Le preneur ne peut opérer dans le fonds aucun changement qui en diminue la valeur.

Si le preneur fait des améliorations ou des constructions qui augmentent la valeur du fonds, il ne peut les détruire, ni réclamer à cet égard aucune indemnité.

Article L451-8

Le preneur est tenu de toutes les contributions et charges de l'héritage.

En ce qui concerne les constructions existant au moment du bail et celles qui auront été élevées en exécution de la convention, il est tenu des réparations de toute nature, mais il n'est pas obligé de reconstruire les bâtiments, s'il prouve qu'ils ont été détruits par cas fortuit, par force majeure ou qu'ils ont péri par le vice de la construction antérieure au bail.

Il répond de l'incendie, conformément à l'article 1733 du code civil.

Article L451-9

L'emphytéote peut acquérir au profit du fonds des servitudes actives, et les grever, par titres, de servitudes passives, pour un temps qui n'excédera pas la durée du bail à charge d'avertir le propriétaire.

Article L451-10

L'emphytéote profite du droit d'accession pendant la durée de l'emphytéose.

Article L451-11

Le preneur a seul le droit de chasse et de pêche et exerce à l'égard des mines, carrières et tourbières tous les droits de l'usufruitier.

Article L451-12

Les articles L. 451-1 et L. 451-9 sont applicables aux emphytéoses établies avant le 25 juin 1902 si le contrat ne contient pas de stipulations contraires.

Article L451-13

Ainsi qu'il est dit à l'article 689 du code général des impôts, l'acte constitutif de l'emphytéose est assujetti à la taxe de publicité foncière et aux droits d'enregistrement aux taux prévus pour les baux à ferme ou à loyer d'une durée limitée.

Les mutations de toute nature ayant pour objet soit le droit du bailleur, soit le droit du preneur, sont soumises aux dispositions du code général des impôts concernant les transmissions de propriété d'immeubles. Le droit est liquidé sur la valeur vénale déterminée par une déclaration estimative des parties.

Article L451-14

Les articles L. 451-1 à L. 451-12 sont applicables à Mayotte.

La création de l'emphytéose

Elle résulte d'un contrat qui est le bail emphytéotique.

La durée du bail emphytéotique

Elle est comprise entre 18 ans au moins et 99 ans au plus avec possibilité de renouvellement.

Il ne semble pas que la tacite reconduction puisse être admise.

Les obligations du preneur

Le preneur, dénommé emphytéote a pour obligation de payer une redevance, qui porte le nom de « canon ».

Il doit tenir le bien immobilier objet du contrat en bon état d'entretien et de réparation de toute nature, selon l'article L.451-8 du code rural. Il n'est cependant pas tenu de reconstruire les immeubles perdus par cas fortuit ou force majeure, la résiliation du bail pouvant alors être demandée selon le même article du code rural.

Il a le droit de démolir les bâtiments existants à charge de les reconstruire selon l'article L. 451-7 du code rural.

Il doit acquitter les charges et contributions, effectuer toutes les réparations, y compris les grosses réparations, qu'elles concernent les constructions qu'il édifie ou celles déjà existantes à l'entrée en vigueur du bail. Il répond de l'incendie.

Toutes les améliorations et constructions qu'il réalise ne peuvent être détruites par lui en fin de bail et il ne peut en être indemnisé à la fin du bail.

Il peut consentir des servitudes et il peut hypothéquer ses droits selon l'article L. 451-1 du code rural.

Les droits du preneur

Le preneur a l'usage et la jouissance de la chose. Il se comporte pratiquement en propriétaire, puisqu'il bénéficie des fruits, peut exploiter les carrières sur le fond. Il peut même créer des servitudes ou en acquérir. Son droit peut être hypothéqué et il est cessible (le caractère cessible de son droit et même un élément essentiel de l'emphytéose).

La fin de l'emphytéose

Les causes d'extinction de l'emphytéose sont l'arrivée du terme qui a été fixé par le bail, la perte de l'immeuble qui peut résulter de la disparition physique de l'immeuble ou de l'expropriation pour cause d'utilité publique et enfin la résiliation du bail, qui peut être encourue si le preneur n'a pas exécuté ses obligations.

Le sort des constructions en fin de bail

Si le contrat de bail emphytéotique ne prévoit rien à ce sujet, le bailleur devient propriétaire des constructions et profiter des améliorations selon l'article L.451-7 du code rural.

Le bail peut prévoir que le preneur devra procéder à la démolition de tous les aménagements qu'il aura réalisés pendant le bail.

Quelques décisions de justice concernant le bail emphytéotique

Requalification du bail emphytéotique en bail en raison de l'impossibilité de céder le bail emphytéotique

« Vu l'article L. 451-1 du Code rural ;

Attendu que le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque ; que ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 29 juin 1989), que, par acte du 21 mai 1963, l'office public d'habitations à loyer modéré de la ville de Sète et cette commune ont donné à bail à la société Mobil-Oil un terrain, moyennant un loyer annuel de 18 000 francs, porté à 69 664 francs par an lors de la prorogation consentie en 1983 jusqu'au 5 août 1986 ; que l'office d'HLM a refusé à cette date le renouvellement du bail ;

Attendu que, pour décider que cette convention était un bail emphytéotique, l'arrêt se fonde sur le faible montant du loyer, sur l'impossibilité de réclamer une indemnisation du fait des bâtiments construits et sur le fait, concevable en cas de bail de cette nature, que le droit de cession n'est subordonné à l'accord de l'office et à l'approbation des autorités de tutelle que très limitativement, en cas de modification de l'activité commerciale prévue ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le droit de libre cession constitue un caractère essentiel du bail emphytéotique, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 juin 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse. »

L'impossibilité de limiter l'usage auquel l'emphytéose peut affecter les lieux loués

« Vu l'article L. 451-1 du Code rural, ensemble l'article 3 du décret du 30 septembre 1953 ;

Attendu que le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque ; que ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 22 janvier 1996) que le 9 décembre 1960, les consorts X... ont donné à bail aux époux Z..., par un acte intitulé " bail emphytéotique ", des terrains pour une durée de 30 ans ; que ce bail comportait une clause limitant l'usage des terrains à la création d'un centre privé exclusivement réservé aux membres des organisations naturistes ; que diverses cessions de ce bail sont intervenues, M. Y... et la société Obona en devenant les bénéficiaires ; qu'ils ont, le 23 juin 1977, consenti un bail soumis au statut des baux commerciaux à M. A..., aux droits duquel viennent les consorts A..., pour une durée de 9 ans, sous la condition que le bail ne dépasse pas la durée du bail principal ; que le 17 janvier 1992, M. Y... et la société Obona ont enjoint aux consorts A... de quitter les lieux en se fondant sur cette stipulation ; que ces derniers ont alors assigné en nullité de la sommation ;

Attendu que pour dire que le bail conclu le 9 décembre 1960 est un bail emphytéotique, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le bail avait été conclu pour une durée de 30 ans, que la redevance annuelle était faible, que l'emphytéote devait supporter toutes les réparations et acquitter tous les impôts, qu'il pouvait sous-louer les lieux ou céder le contrat sans l'accord du bailleur, qu'il n'avait droit à aucune indemnité en fin de convention et qu'il était loisible aux parties de préciser l'objet du contrat sans que le bail réel immobilier spécial accordé à l'emphytéote en soit altéré ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le bail comportait une clause limitant l'usage auquel le bénéficiaire pouvait affecter les lieux loués, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 janvier 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble. »

La stipulation d'une clause résolutoire de plein droit n'est pas compatible avec le bail emphytéotique

« Vu les articles L. 451-1 et L. 451-5 du Code rural ;

Attendu que le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque ; qu'à défaut de paiement de deux années consécutives, le bailleur est autorisé, après une sommation restée sans effet, à faire prononcer en justice la résolution de l'emphytéose ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 31 mai 2001), que, par actes des 27 décembre 1949 et 10 mars 1952, M. X..., aux droits duquel viennent les consorts Y..., a consenti à la société Laitière du Midi, aux droits de laquelle vient la société Groupe Lactalis, deux baux relatifs à deux ensembles de bâtiments contigus, l'un pour une durée de 98 ans et 5 jours, l'autre pour 95 ans et 291 jours ; qu'en décembre 1997, la locataire a donné congé pour le 1er juillet 1998, en visant les dispositions du statut des baux commerciaux ; que, par acte du 21 juillet 1998, les consorts Y... l'ont assignée afin qu'il soit jugé que le bail avait un caractère emphytéotique et pour qu'elle soit condamnée à leur payer une certaine somme au titre des loyers restant à courir, et une autre à titre de travaux ;

Attendu que, pour qualifier les contrats liant les parties de baux emphytéotiques, l'arrêt retient que le caractère emphytéotique ne peut être écarté par l'effet de la clause de résiliation, en faveur du bailleur en cas de non-paiement du loyer, la précarité imposée à l'emphytéote ayant son origine dans son propre fait ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une clause de résolution de plein droit confère à la jouissance du preneur une précarité incompatible avec la constitution d'un droit réel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen.

Condamne les consorts Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les consorts Y... à payer à la société Groupe Lactalis, venant aux droits de la Compagnie laitière Besnier et société Valmont, la somme de 1 900 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé. »