Le transfert en Allemagne

  • René Rouy, élève-garde, réussit à s'évader du dernier train.

Il me sera sans doute très difficile, trente ans après, de relater avec le maximum de précisions mon évasion du train qui, le 17 août 1944, nous conduisait en Allemagne. Ce désir d'évasion me tourmentait depuis mon arrestation et ma décision de faire le maximum pour ne pas quitter le sol français n'a pas été fortuite mais pensée depuis le jour où j'ai su que les convois quittaient Compiègne par voie ferrée.

Le hasard a voulu qu'au départ de Royallieu je me trouve dans le même wagon qu'un camarade enfant de troupe et élève-garde comme mol se nommant Robert Rolland. Aussi­tôt dans le train je lui ai fait part de mes intentions d'éva­sion. Pas d'accord au début, il a tout de même fini par se laisser convaincre et bien lui en a pris car pour lui cette « belle» a été la bonne.

Le lendemain lorsque la nuit fut venue nous avons commencé à mettre notre projet à exécution en arrachant les fils barbelés qui obstruaient la lucarne se trouvant dans la partie supérieure de notre wagon à bestiaux aidés dans cette tâche par nos compagnons d'infortune et je n'ai pas conservé le souvenir d'un camarade qui se serait opposé à notre départ par crainte de représailles. A deux kilomètres environ de la gare Saint hilaire au temple, il doit être minuit et le train commençant à ralentir, je pense que le moment est venu. Rolland se hisse le premier par la lucarne, saute et je le suis immédiate­ment mais nous avons été repérés et j'essuie de nombreux coups de feu. Je fais un «roulé-boulé» sur le ballast et me précipite de l'autre côté du talus dans l'un de ces petits bois de sapins caractéristiques de la Champagne. Je n'ai pas le souvenir que le train se soit arrêté immédiate­ment après nos deux évasions mais ce dont je me souviens c'est des rafales de fusils mitrailleurs qui ont encore été tirés quelques Instants après alors que le train s'arrêtait sans doute à Saint-Hilaire.

Avant de quitter le train, nous étions convenus Rolland et moi de rester ensemble afin de pouvoir rallier le petit village de la Meuse que mes parents habitaient alors. Malheureusement, la nuit aidant, les balles qui nous ont sifflé aux oreilles et la peur, il ne nous a pas été donné de nous retrouver. J'ai su après mon rapatriement que Rolland s'était dirigé sur Reims, qu'il avait été pris en charge par de bons Français lui permettant ainsi de ne pas connaître les camps allemands.

En ce qui me concerne, je suis resté caché dans ce bois de sapins jusqu'au lever du jour et me suis mis en quête de l'endroit où je pouvais me trouver car je n'en avais qu'une très vague idée. Par ailleurs, j'avais beaucoup de peine à marcher pour m'être sans doute foulé le pied en sautant du train. Je n'ai conservé aujourd'hui qu'un souve­nir très obscurci de ce qui s'est passé dans les heures suivantes mais ce que peux encore dire c'est que j'ai été hébergé durant trois ou quatre jours dans une maison Isolée du village. Et puis, le matin du 21 ou 22 août deux agents de la Gestapo ont fait irruption dans la pièce où je dormais... et je me suis retrouvé prisonnier une seconde fois. J'ai ensuite été emprisonné à la maison d'arrêt de Châlons-sur-Marne et mis au secret après avoir connu à trois reprises les interrogatoires de la Gestapo qui n'a jamais pu, heureusement pour moi, me faire dire que j'étais un évadé du train de Compiègne. J'ai connu jusqu'au 28 août de très durs moments; plusieurs résistants emprisonnés eux aussi ont été passés par les armes à cette époque et j'avoue aujourd'hui qu'il fallait toute l'incons­cience de la jeunesse pour conserver ce moral qui ne m'a jamais quitté même dans les plus mauvais jours en Alle­magne. Aujourd'hui je pense que j'ai eu beaucoup de chance que les alliés arrivent vite.

Le 29 août, la prison de Châlons était évacuée et c'est sous bonne garde qu'au moyen d'autobus parisiens, sortis de je ne sais où, nous avons été emmenés à Belfort où j'ai connu mon premier bombardement dans la nuit du 30 au 31 août.

Le lendemain nous étions à nouveau entassés dans des wagons et après 5 jours d'un voyage très éprou­vant (les morts furent nombreux) j'étais incarcéré au camp de concentration de Neuengamme à quelques kilo­mètres de Hambourg où je devais rester jusqu'au 28 avril 1945. Atteint du typhus lors de la libération du camp et ayant contracté une tuberculose pulmonaire, je ne suis rentré en France qu'en septembre pour être radié des cadres de l'armée le 30 juillet 1946 et mis à la retraite d'office pour «infirmités incurables ». J'avais tout juste 20 ans...

Voilà un bref récit de mes aventures. il y a sans aucun doute beaucoup de détails qui manquent; ce que j'ai dit est sûrement mal dit mais le temps estompe le souvenir et après trente deux ans ma mémoire est loin d'être infail­lible. Quoiqu'il en soit je suis persuadé que nous avons connu des événements tellement dramatiques qu'il faut continuer à en parler... pour que de tels faits ne se reproduisent plus jamais.