La vie à Neu-Stassfurt

Hymne européen de la déportation ce chant vit le jour dans le camp de concentration de Börgermoor, l'un des premiers camps nazis ouverts en 1933 . Il fut connu sous le nom de « Bôrgermoorlied».

C’est une oeuvre collective.

Au camp de Marienburg, un ouvrier mineur, détenu politique du nom de Johan Esser, suite à une très sérieuse brimade des SS, proposa un texte à ses camarades. Il fut accepté avec enthousiasme.

Un certain Wolfgang Langhoff qui était du milieu de la chanson et du théâtre, le repris et lui donna sa forme définitive.

Un autre détenu, Rudi Goguel, en composa la musique.

Mais comment composer de la musique quand on travaille douze heures par jour dans un marais?

Dans une interview, Goguel apporta la précision suivante : « Mes camarades et moi jugèrent possible de me soustraire au travail dans le marais à condition de m'infliger une blessure volontaire. Ce qui fut fait ».

En trois jours, à l’infirmerie, à l'aide d'une guitare qu'on lui procura, les oreilles bouchées par du papier mâché, pour atténuer le bruit des marteaux et des chants, ( les SS contraignaient les détenus à chanter sur les chantiers) il composa la mélodie de ce qui allait devenir « le chant des Marais » .

Il fut chanté quelques jours plus tard devant près de 1000 détenus, qui en reprirent aussitôt le refrain. Deux jours après il fut interdit dans le camp... mais il se propagea rapidement dans le milieu concentrationnaire, car les détenus de l'époque, changeaient souvent de camp.

Puis, il fut connu dans l'Europe entière, grâce aux détenus allemands évadés et réfugiés à l’étranger. Langhoff réussit à gagner la Suisse, où il rédigea son témoignage et fit imprimer le texte du chant.

D’autres rescapés de Börgermoor le firent connaître en Tchécoslovaquie, où il fut diffusé par Radio Prague.

« Le chant des marais » se propagea ainsi dans l’Europe entière.

La principale occupation des déportés, c'était "le travail" au fond de la mine et en surface.

Mais la principale préoccupation était de trouver à manger.

En voici quelques témoignages

Un déporté témoigne.

Le 14 septembre, au cours d'un appel matinal, 500 d'entre nous, dont j'étais, furent désignés pour un ''transport''. Nous avions entendu parler de ces transports et les anciens ne nous en disaient aucun bien. La vie était rude à Buchenwald, que dans ces petits camps satellites appelés ''Kommando'', disséminés dans un vaste rayon du camp principal pouvant aller jusqu'à 200 kilomètres. Il y en avait un qu'il fallait éviter paraît-il : Dora. Pour nous ce n'était qu'un nom, et puis comment éviter tel ou tel ''Kommando'', nom qui désignait aussi le transport ?

Nous nous dirigeâmes vers la gare où nous avions débarqués trois semaines plus tôt et embarquâmes dans des wagons à bestiaux pour une destination inconnue et qui se révéla être Stassfurt. Rien à voir avec ce que nous avions subi de Compiègne à Buchenwald. Le trajet ne dura que quelques heures pour franchir les 200 kilomètres qui nous séparaient de notre futur lieu de résidence. Les wagons étaient partagés en deux parties, les portes étaient grandes ouvertes, mais au milieu, plusieurs SS armés jusqu'aux dents avaient pris place. Nous devions rester obligatoirement assis sans bouger. Toute évasion était totalement impossible. Entre nous, où aurions nous bien pu aller, en Allemagne centrale, habillé en bagnard et ne parlant pas un mot d'Allemand ?

Arrivés en gare de Stassfurt, nous prîmes le chemin du camp qui se trouvait à une dizaine de kilomètres de là. Nous aperçûmes alors des chevalets de mines. Charbon ou sel pensions nous ? il y avait les deux, mais pour nous, ce fut la mine de sel... de potasse, ce qui n'arrangeait rien.

Le camp planté au milieu d'une lande triste à mourir dans laquelle était extrait de la tourbe, c'est vous dire la richesse du lieu, était tout neuf et composé de 5 blocks (baraquements). Deux pour recevoir les déportés, un pour la logistique notamment les réserves SS et le sanitaire réduit à sa plus simple expression, et deux plus petits destinés à la cuisine et au ''revier'' (infirmerie). Dans celle-ci, il n'y avait strictement rien, mais rien de rien, pour soigner les malades, sinon quelques grabats. Ceux qui y furent affectés ne manquèrent pas de mourir.

Je fus affecté dans le block 1. Le block était partagé en deux parties égales, séparées par une cloison percée d'une porte et chaque chambre recelait environ 120 déportés. Toujours ce souci d'intimité.

A l'extrémité de chaque block, un espace était réservé aux chambres des Kapos. Nous en avions 8, en majorité des polonais et 1 Chef de camp qui lui, était Allemand. Tous ces gens n'étaient pas des anges de douceur et se révélèrent vite de plats valets pour les SS et de sombres brutes pour nous. Je ne citerai que l'un d'entre eux nommé Yanneck. A tout propos il distribuait des coups de gummi (matraque faite de câble métallique entouré de caoutchouc) et gueulait ''Auschwitz !... Auschwitz !'' ce qui pour nous ne signifiait rien à l'époque, même s'il nous exhibait son bras tatoué. Il voulait nous dire par là qu'il avait été interné dans ce sinistre camp et qu'il entendait bien nous appliquer le même régime. Mais ça nous ne le comprîmes que plus tard, Auschwitz étant totalement inconnu de nous.

Il me faudrait dire deux mots sur l'organisation du camp, non seulement à Stassfurt mais aussi à Buchenwald, l'une étant calquée sur l'autre.

A l'intérieur de ces deux camps les SS ne pénétraient jamais, ou presque jamais si ce n'était pour les appels ou régler ici et là un problème. Ils confiaient l'ordre et la discipline intérieurs à des détenus, essentiellement allemands. Ceux-ci occupaient les fonction de chef et de sous-chef de camp. Le reste de l'encadrement pour ce qui concerne Stassfurt était confié pour l'essentiel à des Polonais. C'était les Kapos et les ''stubedienst'' (chef de chambre). Tous ces gens étaient de confiance. Ils avaient une bonne place et ils faisaient tout pour la garder, aussi se montraient ils d'une férocité impitoyable envers les autres détenus. Ils ne travaillaient pas, vivaient à part, mangeaient comme quatre au détriment de la communauté, et à une ou deux exceptions près, ils n'étaient pas revêtus de la tenue rayée bleu et blanc. Enfin, ils avaient droit de vie et de mort sur n'importe lequel d'entre nous. C'était surtout des prisonniers de droit commun et non pas des politiques, ni des résistants. Ils arboraient le triangle vert.

Pour être complet sur le camp, sachez que la baraque des SS, une soixantaine, était implantée à l'extérieur du camp, face à la porte d'entrée. Ce camp était entouré d'une double rangée de fils de fer barbelés non électrifiés. Ce qui n'était pas le cas à Buchenwald, où ils l'étaient bel et bien, ce qui coûta la vie d'ailleurs à quelques dizaines de déportés, si ce n'est quelques centaines.

Les SS n'étaient pas de ces hommes, jeunes, beaux aux yeux bleus, blonds et au teint clair, comme on se les imagine habituellement...non. Ils étaient pour la plupart des Allemands qui avaient été versés d'office dans cette organisation, parce que blessés sur les différents fronts de guerre. Ils ne s'en montrèrent pas moins des êtres immondes et sans pitié. A leur tête siégeait le sieur Wagner, Adjudant de son état, réputé frappeur à Buchenwald, quant à son second, il faisait peur rien qu'à le regarder tellement il était glacial.

C'est en ce triste lieu et sous la coupe de ces sombres personnages que nous allions tenter de survivre pendant 7 longs mois au cours desquels 102 d'entre nous devaient ''crever'' sous les coups, de froid, de faim et d'épuisement.

Arrivés en début d'après-midi on me désigna mon lieu de couchage qui était le lit du milieu d'un bloc de six lits en bois, disposés sur trois niveaux. En guise de matelas, une simple paillasse dont l'enveloppe était en papier. Pas question de draps ni de pyjama vous pensez bien. N'ayant aucun bagage, pas même une brosse à dents, je fus vite installé. Je déposai mon couvre-pied sur ma paillasse ainsi que le torchon qui devait me servir de serviette de toilette. Pas de savon, c'était totalement inconnu ici. Quant à ma gamelle en faïence que j'avais touchée à mon départ de Buchenwald, je la glissais sous mon bras, dans ma veste qui elle même était rentrée dans mon pantalon, afin qu'on ne me la vole pas. Je l'ai conservée ainsi jusqu'à ce qu'elle soit cassée. Comme il n'était pas question d'en obtenir une autre je la remplaçai par une boite de conserve vide, récupérée dans la mine et abandonnée là probablement par un civil allemand.

Le décor étant planté, passons à la mine et à ses sous-kommandos, car tout le monde ne travaillait pas au fond, Moi...oui.

Après avoir ingurgité une maigre soupe, 150 d'entre nous furent désignés pour descendre en premier poste et ''zun fün'' nous fûmes dirigés vers le carreau de la mine de sel, dont nous apercevions le chevalet à 2 kilomètres devant nous.

Toute ma vie je me souviendrai de cette première descente. Nous nous présentâmes devant la cage et par fournées d'une quinzaine, je ne sais plus très bien, nous fûmes littéralement poussés à l'intérieur. Elle était pourrie cette cage, rouillée au possible, prenant l'eau de toute part qui tombait de je ne sais où, un goût acre de potasse vous venait à la gorge, c'était stressant dirions-nous aujourd'hui. Lorsque le meister (civil allemand chef d'équipe) appuya sur le bouton, j'eu l'impression de descendre aux enfers. Mes tripes remontèrent dans mon estomac et je crus que j'allais vomir... 460 mètres plus bas, nous fûmes accueillis par un autre meister et surtout par celui que nous allions surnommé ''fils de fer'' en raison de sa taille filiforme. C'était un SS. Ce n'était pas un cadeau. Généralement les SS ne s'occupaient pas du travail, c'était le job des meisters qui transmettaient leurs ordres aux kapos, qui eux, faisaient exécuter de gré ou de force les différents travaux. Les SS surveillaient. Fils de fer, lui, qui était tout sauf sot, voyait le travail qu'il y avait à faire. Il se substituait au meister et même au Kapo. Il était à l'origine et à la conclusion. Il arpentait la mine avec ses grandes jambes, allait d'un chantier à l'autre, veillait à ce que tout le monde soit au boulot et que personnes ne fasse semblant. Il avait l'art d'arriver toujours dans votre dos au moment où vous ne l'attendiez pas... si vous étiez pris en défaut, c'est lui et personne d'autre qui vous administrait la correction d'usage à coups de gummi.

Le travail au cours de cette première nuit consista à dégager les galeries des blocs de sel qui les encombraient. Nous devions les casser à la masse et les charger dans les wagonnets rouillés qui roulaient sur des rails tout aussi rouillés, pour les amener au pied de la descente des cages et de là, ils étaient remontés à la surface. Nous étions quatre par wagonnets.. Cela ne dura pas. Fil de fer estima très vite que trois suffisaient pour une telle tâche, aussi enleva-t-il un camarade de notre groupe de travail. Ces wagonnets étaient rouillés vous ai-je dit, mais aussi, compte tenu de ce que les rails étaient posés dans le sel, ils n'étaient pas très stables d'où de fréquents déraillements. Il nous fallait alors les remonter sur les rails et cette manœuvre s'effectuait généralement sous les coups des kapos qui n'admettaient pas que l'on sabote le travail... car il était évident à leurs yeux que nous l'avions fait exprès.

18 ans, n'ayant jamais tenu un outil dans mes mains, encore moins une masse, vous imaginez facilement l'état dans lequel je me trouvais. Cela dura 12 heures de temps avec une simple coupure d'une demi-heure pour boire un jus d'orge infect alors que les meisters sortaient leur casse croûte de leurs sacs et le mangeaient sans aucune vergogne devant nous qui tirions la langue.

Toutes les nuits et tous les jours que nous passâmes au fond de la mine ce fut le même scénario.

Chaque semaine nous changions de poste. Ceux de jour passaient de nuit et ceux de nuit passaient de jour. Les horaires étaient 5 heures-17 heures et 17 heures-5 heures. Lorsque nous étions de jour le réveil était à 4 heures. La toilette était vite faite car l'eau était rare dans un premier temps, et inexistante par la suite en raison du gel. Je suis resté 6 mois sans toucher une goutte d'eau. Comme nous ne nous changions pas et que nous couchions tout habillé, je ne vous fais pas de dessin. Pour l'odeur, on s'y habitue très bien, on n'y fait même plus cas. Le seul soucis, c'était la bouffe, encore la bouffe, toujours la bouffe.

Justement parlons en de ce qui était pour nous une véritable obsession. Le matin soit en partant si nous étions de jour, ou en rentrant lorsque nous étions de nuit, nous avions une louche d'orge, de malt et de gland, ainsi que le bout de pain et de margarine déjà évoqués. C'était tout pour la journée. A notre retour dans la mine ou lorsque nous y partions, on nous distribuait la valeur d'un demi litre de soupe dont l'épaisseur variait. Si au moment de votre passage, la gamelle à la main, le bidon était à son début, vous aviez plus de flotte que de légumes, s'il était à la fin c'était nettement plus consistant, les légumes restaient au fond. Nous n'avions jamais de viande. Lorsque nous avions des pommes de terre que nous mangions avec la peau, la ration était de 5 ou 6...et pas des grosses ! Ce jour là, le demi litre de soupe se transformait en quart de litre. Comment pouvions nous tenir avec un tel régime ? Il n'était pas question d'obtenir du rab (surplus). La faim aidant, certains s'y risquaient. Ils étaient sûrs de prendre des coups. C'est ce qu'il fallait éviter à tout prix. C'est l'accumulation de coups, qui a entraîner bien souvent la mort. Ça, je l'avais très vite compris mais cela n'a pas suffit pour assurer ma vie.

Une anecdote à ce sujet. Devant la cuisine il y avait un trou dans lequel le cuistot SS jetait les épluchures. Dans ce trou il ne manquait jamais de pisser. Cela ne nous empêchait pas, lorsque nous le pouvions car c'était formellement défendu, d'aller ramasser ces épluchures et de les manger dans l'état où nous les trouvions. Si nous avions la chance de tomber sur des épluchures de pommes de terre, nous les glissions dans le poêle central de la chambrée (tiens, j'ai omis de vous en parler, il y en avait un) et nous avions l'impression de manger des frites. Ah ! il ne fallait pas être délicat. Vous savez, quand on a faim ou boufferait de la viande humaine. Je ne plaisante pas. Un jour, Norbert Faivre avait trouvé dans un trou dans la mine, une sorte de fécule de provenance inconnue. Il en avait ramassé autant qu'il avait pu et l'avait glissé dans sa veste et dans son pantalon. C'était bleu, c'était jaune, c'était moisi, peu importe. Nous en avons mangé à ventre que veux-tu et chose incroyable, nous l'avons digérée.

Bien qu'arrivés dans un camp qui n'avait jamais été occupé avant nous, donc à priori propre, nous fûmes vite envahis par les poux et la vermine. La saleté repoussante dans laquelle nous vivions en permanence explique facilement ce fait. L'épouillage était l'occupation principale lorsque nous ne travaillions pas, ce qui était le cas les dimanches. Nous les tuions entre les deux pouces et nous essuyions nos doigts sur nos manches d'un geste machinal, à l'endroit précis ou nous essuyions les épluchures de pommes de terre lorsque nous avions la chance d'en récupérer.

Les SS avaient peur des poux, car ceux-ci peuvent amener le typhus et contre les épidémies, les barbelés sont impuissants. Aussi décidèrent t-ils de nous emmener par groupe à l'épouillage dans une étuve de Stassfurt. C'était en février et je vous rappelle qu'en Allemagne centrale il fait régulièrement des températures de moins 20° ou moins 25°. La petite ville de Stassfurt se trouve à 8 kilomètres du camp. C'est à la sortie de la mine de nuit que mon groupe a été amené à l'épouillage. Nous nous sommes déshabillés dans une grande salle, et avons placé nos rayés, nos chemises et nos caleçons dans une étuve et tout nus nous avons attendu que l'on veuille bien nous les rendre. Quand nous les récupérâmes, ils n'étaient pas des plus secs, ils étaient même plus qu' humides. Nous dûmes les enfiler tels que, et prîmes la route dans le froid pour le retour au camp ou nous arrivâmes dans l'après midi. Comme il était presque l'heure de redescendre à la mine, on nous a distribué notre pitance et en route pour la mine de nuit. Nous n'avions pas dormi un seul instant, quant aux poux...ils étaient toujours là, et nous avons compté quelques morts de plus dans nos rangs les jours qui suivirent.

A propos du froid. Pour nous en protéger, nous récupérions au fond de la mine les sacs de ciment vide (je vais vous en parler). Nous les enfilions sous notre veste après en avoir échancré le fond, et nous les enroulions autour de nos jambes en dessous le pantalon. ''Cette pratique n'est pas saine'' avait décrété l'horrible Wagner, le commandant du camp. Aussi, si nous étions pris à porter des sacs en guise de vêtements, nous étions punis de ''Piquet''. C'était la sanction la plus terrible. Le puni était condamné à rester debout, tête nue, revêtu de sa seule tenue rayée, les mains sur la tête et ce, jusqu'à ce que le SS lui dise de rentrer. Par moins 20° ou moins 25° on ne peut résister à ce régime. Il s'ensuivait immanquablement une pneumonie et dans les trois ou quatre jour le gars était plié.

Je vous ai dit plus haut que le dimanche nous ne travaillions pas. Effectivement nous ne descendions pas au fond de la mine, ce n'est pas pour autant que nous restions sans rien faire. On nous occupait. Soit que nous effectuions des travaux dans le camp, soit que nous étions réquisitionnés par un chantier voisin pour porter de lourds panneaux de baraques dans le but d'agrandir le camp en prévision d'arrivées nouvelles. Ce ne fut pas le cas, la fin de la guerre intervint avant. Chacun sait que l'inactivité est un vice...

Sur le plan travail, je voudrais apporter une précision importante. Dans la mine nous installions une usine souterraine, c'est pour cela que nous avons dégagé dans un premier temps les galeries. Il fallait circuler aisément. Après nous avons passé notre temps à bétonner de grandes salles destinées à recevoir des machine-outils. Plusieurs firmes co-existaient pour ce faire. Siemens était responsable de tout ce qui était électrique, Kalag s'occupait des machines, Preussag acheminait au fond le sable extrait par des déportés en surface et ce par tous les temps pour faire le béton etc... Ces firmes achetaient au SS les déportés. Elles puisaient leur main d'œuvre dans le camp de concentration. C'était un véritable marché d'esclaves, marché qui était inépuisable. Ces firmes qui sont cotées en bourse aujourd'hui n'avaient pas à économiser la main d’œuvre, d'où le fort rendement exigé. Nous en crevions...

Je vous le rappelle, 102 morts en 7 mois. Et on voudrait nous faire croire que la population allemande n'était pas au courant de ce qui se passait ? Mais c'est impossible. Nous étions encadrés par des civils, des ingénieurs, des meisters...Ils avaient une famille, des enfants, ceux là même qui nous lanceront des cailloux en avril lorsque nous évacuerons le camp. Le soir ils faisaient comme tout le monde, ils racontaient ce qu'ils faisaient, ce qui se passait. C'est obligé. Donc les civils savaient.

Le déblaiement des galeries dura quelques temps, puis nous attaquâmes un autre chantier, l'installation de l'usine souterraine sur deux niveaux : moins 400 mètres et moins 460.

La mine était une mine de sel de potasse. L'extraction de ce sel ou de cette potasse avait fait qu'il existait de très grande cavités qui était en fait des salles immenses. Il y avait donc de la place pour installer les machines, ce qui n'empêchait pas qu'il fallait parfois les agrandir. C'est alors que les artificiers civils intervenaient. Dès que l'explosion avait eu lieu, nous devions immédiatement rentrer dans la salle et dégager les blocs de sel. Il y avait alors en suspension dans l'air un mélange de sel et de potasse que nous respirions en permanence. Tout nos vêtements étaient poisseux. Nous vivions dans une espèce d'atmosphère cotonneuse et nous avions de la difficulté pour respirer.

Lorsque les salles furent entièrement dégagées, nous sommes passés à une autre stade celui du bétonnage.

Les bétonnières, le sable, le ciment nécessaires étaient descendus par l'ascenseur, le même que nous empruntions. Nous posions sur le sel de grandes feuilles de papier goudronnés sur lesquelles nous devions étaler le béton. Là nous allions toucher à un autre enfer.

Les sacs de ciment étaient disposés en tas à quelques mètres de la bétonnière. Chacun d'entre nous, devait prendre un sac de ciment sur son dos, seul, et ça pèse 50 kilos un sac de ciment, et le verser dans la bétonnière, alors que d'autres déportés la remplissait de sable. Nous avions un moment de répit le temps qu'elle tourne jusqu'à ce que le mélange fut à point. Elle déversait alors son contenu dans ce que nous appelions la japonaise. C'était une sorte de benne avec des bras tel un pousse-pousse comme on voit en Asie, et nous devions la tirer à deux jusqu'au point de bétonnage. Il y avait bien des planches sur lesquelles nous la faisions rouler, mais, tout comme les wagonnets, il arrivait qu'elle sorte des planches, alors les roues s'enfonçaient dans le sel concassé. Sabotag ! gueulait le kappo ou fil de fer...et les coups pleuvaient. Ce travail était épuisant. Beaucoup y ont laissé la peau.

J'ai appris une chose dans ces moments ultra pénibles de mon existence, c'est que l'homme est increvable. Il peut toujours aller plus loin dans l'épreuve avec la volonté et le moral, surtout le moral. Ceux qui ne l'avaient pas mouraient les premiers. Certes les constitutions des individus ne sont pas identiques, mais à choses égales, le moral prime toujours.

J'ai également travaillé dans d'autres sous-kommandos en surface. Il y avait parfois un peu plus de défense sur le plan nourriture car il nous arrivait de travailler à proximité d'un champ de betteraves. Au passage, un coup de pied bien appliqué en arrachait une, une flexion rapide et elle était à l'abri sous la veste rayée.

Le travail était aussi pénible puisqu'il consistait à creuser des tranchées de 2 mètres 50 de profondeur, par lesquelles passaient des canalisations. L'air n'était pas vicié comme au fond de la mine mais le froid de l'Allemagne centrale est des plus rigoureux et ce n'est pas la capote militaire trouée dont on nous avait doté qui nous protégeait énormément.

Ce travail éreintant se poursuivit jusqu'au 11 avril 1945, date de l'évacuation du camp devant l'alliance alliée. L'état de santé du Kommando n'était pas des plus brillant et il allait vivre à compter de cette date et jusqu'au 8 mai un nouveau calvaire d'une toute autre nature.

Pierre BUR

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Quelques extraits de l'ouvrage "Historiographie d'un Kommando de Buchenwald"

LE TRAVAIL

La journée au Kommando de NEU-STASSFURT était placée sous le signe du travail forcé. La plupart des détenus étaient employés comme terrassiers ou manœuvres, soit à la mine, soit dans divers kommandos en surface.

LA MINE

Elle était située à quelques kilomètres de LODERBURG ET D'ATZENDORF, les plus proches bourgades, et à un kilomètre du camp. Le puits VI était un des principaux sites des mines de sel et de potasse de STASSFURT. Les Allemands le désignaient sous l'appellation : SCHACHT VI NEU-STASSFURT

En 1944, on distinguait sur le carreau de la mine les chevalets du puits avec ascenseur, deux cheminées dont une servait à l'aération du fond ainsi que des bâtiments administratifs et de logistique, des hangars et une voie ferrée qui menait à STASSFURT.

Dès leur arrivée, 300 à 350 déportés travaillèrent au fond, aux étages -400, -430 et -460 mètres. Divisés en deux équipes, une de jour nommée TAGLICHT, l'autre de nuit nommée NACHTISCH. Ils étaient employés, douze heures durant dans différents kommandos de travail chargés de creuser et d'aménager les immenses salles de la mine en vue d'y implanter une usine souterraine (fabrication de moteurs d'avions à réaction).

Leur travail essentiel consistait à dégager les galeries encombrées de blocs de sel à fabriquer le béton destiné à aménager ces salles, à transporter par wagonnets le sable, l'eau, le ciment nécessaires aux bétonnières.

Les déportés souffraient de l'air vicié qui régnait en permanence dans la mine où la poussière de potasse brûlait les poumons.

LES KOMMANDOS DE TRAVAIL EN SURFACE

Ceux qui ne travaillaient pas à la mine étaient répartis dans plusieurs kommandos de surface situés à proximité du puits VII, à deux km. du camp. Ils étaient uniquement composés de terrassiers. Ces chantiers avaient pour but de construire des routes, des tranchées, de poser des canalisations, d'extraire du sable, de creuser des trous pour un stand d'essai, clôtures, etc...

Le travail en surface était aussi long et exténuant qu'à la mine, mais si le froid y était plus vif, (souvent jusqu’à -20°C), le problème de l’atmosphère peu respirable était inexistant.

LES EMPLOYEURS

La main d’œuvre concentrationnaire servait, avant tout, l'effort de guerre nazi. Tous ces kommandos de travail portaient le nom d'entreprises allemandes qui "louaient" les déportés à la Direction Générale des S.S.

A partir de 1943, les industriels allemands réclamèrent toujours davantage de main d’œuvre, sans s'inquiéter de savoir ni où ni comment on la recrutait, ni à quel point on la maltraitait.

Dans la plupart des secteurs industriels, les grandes firmes signèrent des contrats de travail concentrationnaires avec le R.S.H.A. (Service Principal de la Sécurité du Reich).

Les groupes industriels qui exploitaient les déportés à NEU-STASSFURT étaient essentiellement: Walzer, Severin, Schmielau, Siemens, Max Poppel.

Kommandos de la mine:

Kalag Jour et Nuit:

    • Mise au gabarit, nivellement et déblaiement des salles et galeries d'accès. transport des déblais.

    • Bétonnage des salles (sorte de grands Halls).

    • Confection et transport du béton: ainsi que l'approvisionnement en eau, ciment et sable.

    • Les sacs de ciment étaient transportés à dos d'homme, les wagonnets poussés par les seuls détenus.

Walzer transport Kalag machines Siemens:

    • Acheminement des machines-outils aux salles.

    • Mise en place et fixation des machines outils.

  • Lignes électriques, téléphoniques, éclairage des galeries, branchement des machines - outils.

Kommandos de Surface:

  • Arbeit (puits VII)

    • Terrassement en carrière.

  • Schmielau

    • Construction de bancs d'essais de moteurs à réaction

  • Walzer (câbles)

    • Pose de câbles en tranchées

  • Preussag (Séverin)

    • Creusement tranchées pour câbles

  • Kiesgrube (Séverin)

    • Extraction de sable

  • Hambi (Séverin)

    • Terrassements et travaux divers.

  • Puits VII (Séverine)

    • Construction d'un château d'eau, de baraques pour ouvriers, déchargement de wagons.

  • Zambau

    • Pose clôtures, transport de panneaux pour l'agrandissement du camp.

N.B. Aujourd'hui, certains de ces groupes industriels de renommée mondiale, sont établis en France; Ils bénéficient même de l'apport de capitaux industriels Français.