voir le mode d'emploi des formations de François-Bernard Huyghe
Voir l'anthologie téléchargeable ici et le livre Maîtres du faire croire (Vuibert 2008)
La problématique
L'influence
- du moins là où elle est volontaire - suppose la capacité de pousser
d’autres acteurs à adopter des comportements ou des convictions
favorables à desseins, sans recourir à la force, sans promettre de
contrepartie et sans se réclamer de l’autorité. En intelligence économique, l’art de savoir (veille et acquisition de l'information) et celui d’empêcher le concurrent de savoir ce
que vous savez (protection du patrimoine informationnel) appellent un
complément difficile à résumer en recettes simples : la manière de
faire croire, de faire décider et de faire penser d’une certaine façon.
L'intelligence économique
traite généralement de l'influence sous l'aspect du lobbying (la façon
de peser sur la décision politique au service d'intérêts économiques),
mais aussi comme facteur négatif. En effet, l'entreprise n'est pas
seulement productrice d'influence sur les "parties
prenantes", pour conquérir des marchés, par exemple ; elle la subit, et
parfois doit la contrer. Ici s'ouvre le domaine inquiétant des risques
d'image et des dangers de déstabilisation par l'information.
Le cours se propose de traiter de l'influence comme stratégie indirecte et asymétrique multiforme,
recouvrant une large gamme d'actions dans le domaine des idées, des
images, des intérêts, des valeurs.. La notion s'oppose à celle de
puissance en politique internationale, et à celle d'autorité en politique interne et dans les rapports sociaux.
D'où une triple approche:
-
En tant que phénomène psychologique, sociologique et politique existant
depuis toujours, l'influence doit être traitée dans une perspective
historique. On ne comprend rien à l'influence en intelligence
économique sans examiner ses autres formes idéologiques
ou politique p.e., ni sans retracer les raisons qui
font qu'elle tient une telle place dans nos sociétés, remplaçant
largement le principe d'autorité voire de représentativité démocratique.
-
Les hommes cherchent à agir sur le cerveau de leurs contemporains pour
obtenir ce qu'ils veulent par des paroles ou des images. Ils ont donc
inventé des techniques d'influence (rhétorique, stratagèmes,
désinformation...) dont certaines sont enseignées depuis des siècles. Les
techniques d'intelligence économique hérite donc d'une longue tradition
dont une grande partie se veut scientifique et qui a suscité une
critique vigoureuse.
-
Si l'influence imprègne la plupart des rapports humains, l'existence
d'organisations vouées à l'influence et interférant avec l'activité
économique au nom de principes non économiques concerne
particulièrement l'intelligence économique.
Par convention nous nommerons Organisations Matérialisées d'Influence (OMI), les structures de type ONG, lobbies ou think tanks dont la fonction est de peser (par la critique, la production d'idées ou de solution, par des pressions, des manifestations, de l'action sur le terrain, etc.) sur les décisions collectives sans exercer elles-mêmes d'autorité.
D'où les questions. Avec quelle structure, en
utilisant quels relais, par quelles pratiques et suivant quelle
stratégie, certains groupes s'efforcent-ils de changer ce que croient
voire ce que font des dirigeants et des populations ? Sans oublier que
l'influence suppose des médiations dont des médias.
D'où l'importance des voies et moyens d'influence.
La
capacité d’émettre des images séduisantes, de diffuser des messages
persuasifs et d’organiser la synergie, mais aussi la faculté d’agir
sur les normes et les critères du choix d’autrui peuvent également procurer de l'influence. Les
groupes représentant « la société civile »,
s'imposant par l’expertise ou au nom de normes éthiques ou autres)
l’illustrent chaque jour.
Le
très vaste champ de l’influence englobe donc aussi bien des politiques
générales d’image menées par des pays ou des activités de lobbying
légales (et bien acceptées dans certains États) que des manœuvres bien
plus obscures et agressives de déstabilisation informationnelle d’une
entreprise ou de désinformation. Elle mêle toujours plus ou moins le méthodes d'action par :
- irradiation :le modèle qui suscite l’imitation par l’image, le prestige- conviction : la persuasion que suscite le contenu d’un message, de la rhétorique au storytelling-
- irradiation :le modèle qui suscite l’imitation par l’image, le prestige- conviction : la persuasion que suscite le contenu d’un message, de la rhétorique au storytelling-
- perception : la modification du code de l’influencé sous la triple forme
o du contrôle de l’attention et de la perception (environnement mental) notamment par la maîtrise des "tuyaux" (les moyens de communication)
o de la formation ou du formatage des catégories mentales : le social learning, les normes
o de l’inspiration : think tanks et sociétés de pensée illustrent cette dimension
o de l’inspiration : think tanks et sociétés de pensée illustrent cette dimension
• De l’Agora aux TIC
Les techniques de guerre de l'information et d'influence remontent à l'Antiquité : qu'il s'agisse de diffuser une religion,
de persuader par des arguments, de recourir aux stratagèmes, de gouverner par le "faire croire", les fondamentaux sont déjà connus.
Avant le XX° siècle, des théoriciens pensent déjà la façon de diriger les masses à travers les médias.
Mais, il faut attendre la première guerre mondiale pour que naisse la propagande de masse en tant que phénomène reconnu, professionnalisé, mais aussi analysé et disséqué.
Tandis que les systèmes totalitaires imposent à leurs sujets un monde de l’apparence et une langue obligatoire, seul environnement mental autorisé, l’affrontement Est/Ouest devient une lutte entre des visions du monde et la guerre froide une guerre culturelle.
L’affrontement «pour le cœur et l’esprit des hommes» se réclame de la science tandis qu'une vigoureuse critique du pouvoir des médias et des méthodes de la propagande se développe.
• De la guerre de l’image aux cyberconflits et à la nouvelle guerre idéologique
Après la chute du Mur, et pendant que certains rêvaient d’unifier la planète par les Technologies de l’Information et de la Communication, le conflit revient.
Des experts traitent les conflits en problèmes de marketing, les militaires rêvent «Révolution dans les Affaires Militaires» et «opérations psychologiques» ; mais le 11 Septembre met au premier plan un autre acteur : le terrorisme (et qu'est-ce que le terrorisme sinon la forme la plus sanglante de l'influence, celle qui utilise les morts pour faire passer des messages ?)
En temps de paix, le contrôle des flux d’images devient un enjeu crucial en politique intérieure comme en géostratégie. Et l’État réalise les limites de sa puissance de faire voir et de faire croire, surtout face aux possibilités des technologies qui se moquent des frontières et des souverainetés.
• Conflit, du public au privé, de la hiérarchie aux réseaux
Il n’y a pas que les politiques qui recourent aux méthodes de persuasion ou de sidération par les signes. La guerre de l’information se privatise. La Toile bruit de rumeurs et devient de terrain de manœuvres ; le monde de l’économie découvre le péril des attaques et des crises informationnelles amplifiées par les nouvelles technologies. L'entreprise joue de l'influence (pour gagner des marchés, désavantager des concurrents, défendre une image qui fait partie de son capitale immatériel) mais elle la subit également sous forme de risque de réputation ou de contraintes exercées par les exigences de la société civile : revendications écologiques ou d'échange équitable, dénonciation, évaluation, codes étiques ou autres.
Des organisations défendant des intérêts matériels, moraux ou idéologiques, agissent par le formatage des mentalités collectives et de l’agenda des décideurs, par l’interpellation des pouvoirs et la coordination des réseaux. ONG, think tanks, associations, particuliers, lobbies, groupes d’intérêts, médias transnationaux, tribunes numériques individuelles et communautaires dessinent les nouveaux territoires de l'influence.
•Acteurs publics, acteurs privés
Sous des dénominations comme prestige, diplomatie publique, soft power, ou à travers une action sur les normes internationales, l'État mène de plus en plus une politique d'influence.
L’action
politique, étatique, diplomatique peut contribuer à la prospérité
économique d’une nation en aidant ses entreprises à conquérir un
marché, en faisant la promotion d’un modèle économique international ou
de normes qui correspondent à celles de ses grandes sociétés, en pesant
dans la régulation du commerce, en décourageant les concurrents.
Les
entreprises sont de plus en plus jugées en fonction de critères
extra-économiques. Leur action doit se plier à un pouvoir de
régulation, à des normes édictées par des organisations internationales
(cela explique le rôle du lobbying et de la défense d’intérêts
nationaux là où s’élabore cette norme, comme à la Commission
européenne).
Mais l’entreprise est aussi sous la surveillance d’ONG qui
la critiquent, l’évaluent ou la notent ; elle se sent à la merci du
risque d’opinion, soumise à des demandes de sécurité, de moralité dans
ses pratiques, à une exigence de respect de l’environnement aussi bien
que de valeurs sociales, éthiques, culturelles.
Autour de la notion de société civile
on retrouve de nouveaux types d'organisations vouées à l'exercice d'une
certaine influence sur les décideurs et l'opinion, éventuellement à
travers les médias : les ONG s'exprimant au nom d'une cause, se
réclamant de valeurs et d'une certaine expertise et intervenant sur le
terrain, les lobbies qui défendent des intérêts parfois par pression ou
corruption, mais souvent aussi argumentant et fournissant une
information bien orientée aux décideurs, et enfin les think tanks,
surtout actifs dans le monde anglo-saxon, producteurs d'idées et
avocats de solutions politiques.
• Entreprises et parties prenantes
La
définition même de l'activité économique change : il ne s'agit plus de
maximiser des gains en se contentant de respecter la loi. L'entreprise
est confrontée à une pluralité d'acteurs (politiques, médias, ONG,
associations, consommateurs), parlant souvent au nom du Bien Commun, ou
du moins de valeurs extra-économiques. entre lesquels elle doit établir
un équilibre. Le tout est souvent le plus souvent par l'arme de la
communication.
Du
coup, l'entreprise change de communication : après la communication
euphorique qui exaltait le produit ou la marque, une communication qui
concernent particulièrement l'intelligence économique :
communication de crise
lobbying et d'autres formes d'influence reposant sur des discours et valeurs non économiques
• Le rôle des médias
Toute organisation ou entreprise vit désormais sous la surveillance des médias, qu’ils soient «classiques», écrits ou audiovisuels comme d’Internet : forums, blogs, journalisme « citoyen », Web 2.0
L'influence
des médias (leur capacité de persuader, d'inciter à certains
comportements, de sélectionner ce à quoi on pense, de former des
mécanismes mentaux) est à mettre en rapport avec les stratégies
d'influence délibérée menées ou non par des États
L'exemple de télévisions internationales d'information montre l'enjeu des batailles d'images.
• L’influence à l’ère du Web 2 .0
Sur
le Web 2.0, l’influence (mesurable à la capacité de faire réagir autrui
dans un certain sens) a de moins en moins une source unique facile à
identifier et obéit moins encore à un schéma linéaire. Il semblerait
plutôt qu’Internet devienne un magma où soudain se dessinent des formes
: il naît une structure d’attention sur certains points, structure qui,
elle même, reflète une bizarre cartographie de la confiance.