00. En guise d’introduction


La crise délétère que nous connaissons depuis les élections législatives du 10 juin 2007 et qui vient de connaître un nouvel épisode avec les suites de l’affaire Fortis, révèle une Belgique à bout de souffle, minée par le nationalisme flamand, les haines partisanes et les compromissions.

Le recours à ceux que l’on appelle « les dinosaures » traduit le désarroi du palais face à cette situation de totale déliquescence, qui empêche tout gouvernement de gérer à long terme et de prendre les mesures appropriées pour affronter les terribles défis socio-économiques qui nous attendent.

La classe politique actuelle ne comporte plus d’hommes et de femmes d’État, parce qu’il n’y a simplement plus d’État. Comme l’écrit Guy Tegenbos, dans « De Standaard » du 23 décembre, ils n’ont plus de pays à gouverner. Leur pays s’est en fait scindé en deux pays qui évoluent de façon totalement indépendante.. Former un seul gouvernement est quasi impossible. En outre, ils doivent le faire au départ d’un paysage politique éclaté dans lequel il n’y a plus la moindre harmonie.

Le « mal incurable » dont parlait François Perin en 1980, lors de sa démission spectaculaire du Sénat, a eu raison du patient. Aujourd’hui, un État-Nation flamand s’est bel et bien constitué et rien ni personne ne pourra l’empêcher de prendre son envol. 

Les commentaires de la presse internationale sont particulièrement éloquents. Ainsi, le « Financial Times » constate que l'atmosphère apparemment permanente de confusion et de désunion des politiciens belges amène de plus en plus de spéculations concernant la survie du pays en tant qu'entité unique. 

Il importe donc que les « forces vives » de Wallonie se préparent à ce contexte « post-Belgique » et se prononcent d’urgence quant à la voie d’avenir à emprunter.

Un examen approfondi des diverses options nous amène à constater que la réunion de la Wallonie à la France constitue la solution la plus réaliste.

Selon l’avis des principaux économistes, la viabilité d’un État wallon indépendant ne serait pas garantie à court terme.

Ainsi, pour Michel Quévit, professeur émérite de l’UCL et spécialiste de l’économie wallonne : Dans le contexte de la création d’un État wallon indépendant, la Wallonie rencontrera au moins dans l’immédiat (c’est-à-dire un horizon de 5 à 10 années) deux problèmes interreliés : 1° la perte des avantages financiers liés au système actuel de la solidarité interrégionale émanant du budget de l’État fédéral ; 2° la difficulté à maintenir le financement de son modèle social à son niveau actuel.

Dans « Bye bye Belgium » de Philippe Dutilleul (éd. Labor, 2006) Guiseppe Pagano, professeur à l’Université de Mons, explique : 
Ce qui paraît clair, c’est que la Wallonie est beaucoup moins riche que les deux autres régions. Si, un jour, elle devait vivre seule avec ses moyens, ce serait plus difficile que dans l’État fédéral actuel. En disant cela, je n’invente rien de neuf. Par contre, si l’on considère son redressement économique, je puis affirmer qu’il prendra du temps, 10 à 15 ans si tout va bien, si l’on impulse les bonnes politiques. Aujourd’hui, le revenu fiscal par habitant, qui constitue un excellent critère, y est de 13 % en dessous de la moyenne nationale. Par ailleurs, il faut savoir que la moyenne des dépenses par habitant pour certains postes, les soins de santé et le chômage notamment, est plus élevée en Wallonie qu’ailleurs dans le pays. Si l’on additionne ces deux éléments, recettes en moins dépenses en plus, on arrive à un différentiel wallon de 20 % par rapport à la situation existante, ce qui en terme de Finances publiques est gigantesque. Si l’on pense que le pacte de stabilité européen a fixé le déficit public à un maximum de 3 % et qu’au pire en Belgique le déficit budgétaire par rapport au PNB a été de 12 ou 13 %, vous saisissez le problème très considérable auquel devrait faire face la Wallonie si elle devenait indépendante par la force des événements. 

En 2007, Henri Capron, professeur d’économie à l’ULB, estimait, lui, que la suppression des transferts au niveau de la sécurité sociale et des mécanismes de solidarité entre les entités fédérées aboutirait à un trou de 3,3 milliards d’euros dans les finances wallonnes. Concrètement, cela signifie que chaque Wallon devrait se passer de 1.000 euros par an. Dans l’hypothèse d’une fédéralisation de la sécurité sociale, les prestations sociales en Wallonie chuteraient de quelque 15 %, écrivait-il, augmentant d’autant le taux de la pauvreté.

Quant à Jacques Thysse, professeur d’économie à l’UCL, il ne croit nullement à la formule d’une Wallonie indépendante : Il faut arrêter de prendre ses rêves pour la réalité. La Wallonie n’est pas économiquement homogène et ne le sera pas. (« Le Point » du 4 décembre 2008).

Autre piste avancée, celle d’une « Belgique continuée », constituée de Bruxelles et de la Wallonie, avec deux variantes : soit une fédération « nouvelle belge » pour Olivier Maingain, soit une « Belgique française », associée à la France, pour Daniel Ducarme.

Dans le n° 81 de « Wallonie-France », Jean-Sébastien Jamart, maître de conférences à l’ULg, chargé du cours de droit international public, se livre à une analyse critique de cette hypothèse :

(…) Certains pensent même que cette « Belgique continuée » pourra rester membre de l’ONU et de l’UE en occupant le siège de l’ancienne Belgique, alors que la Flandre, qui aurait fait sécession, devra leur demander son adhésion. Autrement dit, si la Flandre part, elle se met en dehors du jeu international, alors que la Wallonie et Bruxelles succèderont tranquillement à l’ancienne Belgique et resteront membres de droit de l’ONU et de l’UE. Et, par là, de convaincre la population « francophone » que tout continuera comme avant, même sans les Flamands, que tout ira bien dans le meilleur des mondes. Force est de constater que, bien que de nombreux députés aient fait leur droit, ils semblent avoir oublié le b-a-ba du droit international. Non, Mesdames et Messieurs les politiques et les journalistes, rien ne sera plus comme avant pour la Belgique, « même continuée ». Les « nouveaux Belges » pourraient-ils circuler librement dans l’UE ? Non, d’après le droit international. Pas plus que les nationaux du nouvel État de Flandre. Les nouveaux Belges pourront-ils utiliser l’euro ? Oui, mais seulement lorsqu’ils seront en vacances dans un pays de la zone Euro, mais pas sur le territoire de cette « nouvelle Belgique », car ce pays ne sera plus dans ladite zone… pas plus qu’il ne sera membre de l’UE, du Conseil de l’Europe, de l’OTAN ou de l’ONU ! (…)

En droit international, on appelle le phénomène de dislocation d’un État en plusieurs nouveaux États : une succession d’États. La règle est l’intransmissibilité des traités internationaux liant l’ancien État aux États successeurs. (…) L’État successeur est comme un nouveau-né, vierge de tout traité international, lorsqu’il succède à l’ancien État, autrement dit lorsqu’il accède à l’indépendance.

Il existe une seule exception à ce principe, c’est la question des traités fixant les frontières territoriales de l’ancien État. Ces traités lieront tous les États qui se proclameront indépendants sur toute partie de ce territoire. Le principe en question est le principe de « l’uti possidetis juris » (art. 11 de la Convention de Vienne de 1978 sur la succession d’État).

Ce principe est destiné à ne pas déstabiliser les pays frontaliers des nouveaux États successeurs. Donc, si la Flandre proclame son indépendance, ses frontières avec la France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas seront les mêmes que celles de « l’ancienne Belgique », de même que les frontières de la « Belgique continuée » avec l’Allemagne, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas. Ce principe a même été étendu malheureusement par l’UE aux frontières administratives internes aux États (Commission Badinter en 1992) alors qu’aucune règle de droit international ne le prévoyait jusqu’alors. Dès lors, les frontières entre le nouvel État flamand et la « Belgique continuée » seront celles déterminées par la loi portant scission de l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde. D’où l’enjeu crucial de ce débat.

Contrairement aux idées reçues, en cas de sécession flamande, tant la « nouvelle Belgique » que le nouvel État flamand devront demander leur admission aux organisations internationales auxquelles elles désirent appartenir. Que ce soit l’ONU, l’OTAN, le Conseil de l’Europe, l’UE, il n’y aura pas d’adhésion de plein droit comme successeur de la Belgique. Et, par conséquent, pas d’appartenance de plein droit au système Schengen de libre circulation des personnes entre pays européens ou à la zone Euro autorisant les pays membres à battre l’euro comme monnaie légale…

Pour rappel : lors de la sécession slovène et croate de la Yougoslavie en 1991, après leur reconnaissance internationale en 1992, Croatie et Slovénie ont dû demander leur adhésion à l’ONU, mais aussi la Yougoslavie nouvelle (résolution 777 du Conseil de sécurité des Nations Unies)… Tout nouvel État, successeur ou non d’un ancien État, doit demander son admission et se soumettre aux procédures habituelles d’acceptation fixées par les organisations internationales.

Parfois, cela se fait rapidement, sans grande contestation de la part des membres de l’organisation internationale. Par exemple, la Russie hérita sans problème du siège de l’Union soviétique aux Nations Unies. Dans d’autres cas, cela est plus problématique, ainsi pour la Yougoslavie. En toute hypothèse, il faudra l’accord des parties membres aux organisations internationales pour y admettre un nouvel État, fût-il successeur. Le nouvel État doit aussi remplir les critères d’admission à l’organisation internationale, par exemple l’Union européenne.

Concernant l’appartenance à la zone Euro, n’oublions pas que les États membres de l’UE qui veulent introduire l’euro doivent respecter certains critères économiques (« les critères de convergence »). Même si les 26 pays de l’UE admettaient la « Belgique continuée » en leur sein (ce qui, on l’a vu, n’est pas automatique), cette « nouvelle Belgique » devrait repasser « l’examen monétaire » pour pouvoir battre monnaie en euro. (…)

Imagine-t-on un seul instant qu’une « nouvelle Belgique » ou « Belgique continuée » remplirait ces critères de convergence haut la main, mieux que la Slovaquie ou la Pologne (toujours en dehors de la zone Euro), alors que le budget de cette « Belgique continuée » serait amputé des transferts financiers de la Flandre indépendante, transferts qui sont évalués selon les études entre 2,5 et 6 milliards d’euros. Ce « manque à gagner » serait largement suffisant pour que le critère de déficit public non excessif ne soit pas rempli par la « Belgique continuée » et exclurait en fait comme en droit cette « nouvelle Belgique » de la zone Euro. Que ceux qui veulent continuer 
la Belgique lorsque la Flandre aura pris son indépendance ne cachent pas cette réalité : la Belgique nouvelle sera encore plus belge que la Belgique ancienne, puisqu’elle devra réintroduire sa propre monnaie, le franc belge !

Le fait d’avoir sa propre monnaie pourrait ne pas porter grande conséquence si les fondamentaux économiques de la « nouvelle Belgique » étaient solides. Après tout, le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède vivent bien sans l’euro et ne s’en portent pas plus mal. Mais il est plus que probable qu’un « franc nouveau belge » sera vite attaqué sur les marchés des changes et que cette monnaie devra être dévaluée fréquemment, au gré de ses déficits budgétaires. (…) Les « nouveaux Belges », qui seraient payés sur leur territoire dans la monnaie ayant cours légal, le « franc nouveau belge » que je crains fort léger, devraient rembourser leurs emprunts hypothécaires auprès de leur banque en euros lourds comme l’indique leur contrat notarié… Nul doute que les banques ING, Fortis, Dexia et autres ne convertiront pas leurs avoirs et surtout leurs créances libellées en euros dans cette « nouvelle monnaie belge », pour les beaux yeux de nos hommes politiques qui se montrent si clairvoyants sur le sujet. En d’autres termes, accepter la « Belgique continuée », c’est accepter d’être payés en monnaie de singe tout en devant rembourser ses dettes en euros lourds. Non merci !

Dans « La Wallonie, Terre mosane » (Institut Destrée, 1960), l’historien namurois Félix Rousseau nous livre ce qui, selon lui, constitue le fait capital de l’histoire intellectuelle de la Wallonie : Sans aucune contrainte, de leur pleine volonté, les Wallons sont entrés dans l’orbite de Paris et, depuis sept siècles, avec une fidélité qui ne s’est jamais démentie, n’ont cessé de participer à la culture française.

Conscients de cette identité française de culture et de langue, nous avons donc analysé la possibilité de réunir la Wallonie à la France, en procédant à la comparaison approfondie des systèmes respectifs en matière d’enseignement, de santé, de législation sociale, de fiscalité, ainsi qu’au niveau politique. 

Nous vous livrons ici le résultat de nos travaux.