Athéna
François Cacheux
François Cacheux
Entre la Faculté de Droit et l’avenue du Général de Gaulle, dominant un bassin rectangulaire, se dresse, tournée vers l’est, une statue monolithique en calcaire coquillier d’une chaude teinte ocre. Haute de 6 mètres, cette œuvre monumentale représente une jeune femme debout, sans hanchement. D’allure longiligne, les cheveux noués, dépourvue d’attribut caractéristique, elle porte un fin vêtement moulant dont elle tient les pans de ses deux mains. Le socle sur lequel repose la statue est orné sur ses quatre faces de motifs en creux tous différents : au nord un serpent, à l’ouest un arbre, au sud un hibou, à l’est l’inscription ATHÉNA.
On aura compris qu’il s’agit de la déesse grecque. Divinité guerrière à sa naissance puisque née de la tête de son père Zeus toute armée et casquée, Athéna a hérité de sa mère Métis la raison et s’est tournée vers des activités plus pacifiques ; à ce titre, elle est la déesse des arts et de la littérature. Malgré sa virginité, Athéna eut un fils qui fut caché dans un coffre sous la garde d’un serpent ; sa « mascotte » était la chouette (l’oiseau représenté sur le socle ayant des huppes, les spécialistes du musée zoologique, pourtant proche, auraient-ils manqué de vigilance ?!). La déesse est censée avoir donné son nom à l’actuelle capitale de la Grèce, à qui elle offrit un olivier, symbole de prospérité – et fut pour cette raison préférée à Poséidon qui offrait l’eau salée, donc stérile.
L’œuvre, non datée, est signée CACHEUX sur la face ouest de la base.
Né en 1923, François Cacheux, grand sculpteur mais aussi dessinateur – notamment de nus à la sanguine –, a été directeur de l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg de 1959 jusques en 1989 ; il a réalisé cette œuvre, baptisée Pallas Athénée dans son catalogue, de 1965 à 1968, se conformant à la tradition antique qui la voyait « grande, les traits calmes, plus majestueuse que vraiment belle ».
L’inscription de cette statue dans le paysage esplanadien ne laisse pas de susciter le parallèle avec une autre représentation strasbourgeoise d’Athéna, celle qui surmonte le corps central du Palais Universitaire, entourée des allégories des sciences de l’Esprit et de la Nature ; elle amène aussi à s’interroger sur une symbolique des signes dans l’espace urbain. Place de l’Université, dans l’ancien campus, la déesse accueille le visiteur ; en outre, elle prend place dans un axe prestigieux qui, partant du Palais du Rhin – ancien palais impérial allemand –, traverse les jardins universitaires pour aboutir à l’Observatoire. A l’Esplanade, précisément place d’Athènes, elle tourne le dos à la Faculté de Droit, et l’axe qui part de la place du Foin (!) se termine, à l’extrémité de la rue de Londres, sur un mur aveugle... mais, au-delà, vers le soleil levant. Faut-il y lire des symboles ?…
Jean-Pierre Beck (Ares Flash - Juin 2005)
Peu de temps après la parution de l’article ci-dessus dans Ares-Flash M. François Cacheux, auteur de la statue, a adressé un message téléphonique et nous a fait parvenir un courrier. Il y donne des informations dont des extraits sont reproduits ci-dessous. Venant compléter utilement celles qui figuraient dans l’article, elles permettent de prendre connaissance de la vision de l’artiste sur son œuvre.
« Elle n’a pas été inaugurée officiellement. C’était pendant les événements de 68 qu’aurait dû avoir lieu l’inauguration ; les étudiants étant en ébullition, le Maire a préféré ne pas l’inaugurer. »
« M. Pierre Pflimlin, maire de Strasbourg […], souhaitait faire un hommage à la Grèce à travers le secrétaire général adjoint Monsieur Modinos, pensant qu’il serait élu secrétaire général […].
« Il me commanda donc une grand figure monolithique de six mètres de haut sur un socle de 2 m au cube. Au départ, dans les carrières de Bierry-les-Belles-Fontaines, cette pierre, proche d’une marbrière, pesait 75 tonnes. J’en ai taillé en carrière les grands épannelages d’après la maquette acceptée par la Ville de Strasbourg en 1965. Réduite à 35 tonnes, un convoi exceptionnel la posait sur son socle, avec une grue. J’eus l’idée de l’entourer d’un écrin de verdure en peupliers d’Italie […].
« La pose de la déesse est légèrement déhanchée – à peine. Je ne l’ai pas faite comme sortie, toute armée, du crâne de Zeus son père. Eternelle pucelle, elle a pour emblèmes la chouette […] qui signifie l’intelligence, le serpent qui sera dans son temple à Athènes, lui aussi symbole d’intelligence […], et l’olivier qui pousse où Athéna pose la base de sa lance. Je les ai sculptés en « intaille », tels travaillaient au soleil les Egyptiens. C’est en somme un dessin en profondeur lisible au soleil.
« L’architecte Stoskopf fit creuser un plan d’eau peu profond – un peu comme un miroir ; le sol noir du bassin simule une profondeur qui n’existe pas, par sécurité. […]
ATHENA et la baigneuse
A l'installation de l'allée des sculptures, en 2000 la petite baigneuse malicieuse de Greco a été placée en contrepoint de la sculpture de Cacheux.
Son déhanchement, ici exagéré et coquin, a été malicieusement mis en valeur par l’installation de Jean-Marie Krauth, qui a placé intentionnellement la petite baigneuse de Greco dans le prolongement de la massive et majestueusement sévère Athéna.
Ce décalage est encore souligné par la position en diagonale du socle, le seul à ne pas être posé dans l’alignement de l’avenue.