La mise en place des financements de l’ « Opération Campus » permet à l’Université de Strasbourg de réhabiliter progressivement ses bâtiments, d’en construire d’autres, et de repenser son environnement. L’Université a décidé de réserver désormais aux piétons le centre de son Campus, conçu dans les années 60 à une période où la voiture était reine. Un campus qu’elle a voulu plus vert, plus durable et plus ouvert, de manière à offrir aux Strasbourgeois un nouveau lieu de sociabilité. Ce challenge a été relevé par l’équipe de maîtrise d’œuvre retenue, DIGITALEpaysage, qui, sous la direction d’Agnès Daval, architecte paysagiste, a imaginé des espaces agréables, simples et conviviaux. Le chantier, qui a duré plus de quatre ans, est à présent terminé. Agnès Daval nous explique comment se conçoit un tel projet :
« Le site du Campus est particulièrement complexe de par son histoire, sa superficie et la diversité des usages et des enjeux à prendre en compte. Nos propositions se sont construites à partir du cahier des charges défini par l’Université et du plan directeur d’Edouard Manini, directeur de la Mission Campus. Le nouveau parc a été conçu à travers un dialogue fécond avec les multiples interlocuteurs intéressés : l’université, la direction du patrimoine, la CUS, etc.
« Si le Campus historique (celui du Palais Universitaire) s’est vu doté au tournant du siècle d’un parc central, lieu d’échanges et de détente, et d’un jardin botanique ainsi que d’alignements arborés, la réalisation du parc du nouveau Campus, soixante-dix ans plus tard, s’est par contre révélée incomplète, fractionnée, sans continuité, dévolue à la voiture. Un lieu anonyme et sans âme. Dès lors, pour nous, il s’est plus agit d’une création que de la renaissance d’un parc, ce dernier n’ayant jamais véritablement existé en tant que tel au cœur de l’Esplanade.
« Pour cela, le paysagiste-concepteur doit tout d’abord s’approprier l’ensemble des composantes d’un site. Son regard, et donc sa sensibilité, de même que ses compétences techniques mais aussi artistiques, embrassent de larges connaissances sans qu’il soit pour autant spécialiste en rien. Sa discipline emprunte en effet beaucoup aux autres, tels l’architecture, l’écologie, l’économie de la construction, la géographie, l’histoire, l’ingénierie, le jardinage, la peinture, la poésie, la topographie, l’urbanisme, etc. Ces données en tête, il va pourtant s’en dégager pour construire ce qui peut s’apparenter à un récit, à une histoire, qui va guider son crayon et les formes qu’il va coucher sur la feuille de papier.
- Quelle histoire vous a inspirée pour dessiner ce parc ?
« L’histoire que nous avons décidé de mettre en forme est celle de l’appartenance du parc du Campus à sa dimension géographique et historique.
« Le paysage du Strasbourg médiéval était fortement marqué par un environnement naturel sauvage, régulièrement submergé par les crues du Rhin. Le paysage historique, géologique et naturel entre la vieille ville et le Rhin longtemps indompté était un paysage d’îles vertes et de «prairies qui s’inondent». Le panorama dessiné par l’Ingénieur à partir du 18 ème siècle va instaurer un contact franc entre le paysage naturel et le construit, le vivant et le minéral, le hasard et la géométrie : il s’agit bien sûr du paysage de Vauban, mais aussi de celui de la correction du Rhin dite de « Tulla », effectuée durant le XIXème siècle.
« C’est cette dualité entre le paysage naturel et le paysage de l’Ingénieur qui a fondé pour nous la composition du parc.
« Ce fil d’Ariane ne nous a plus quittés alors que chacune des données, contraintes, ou usages trouvaient progressivement leur place, leur résolution ou leur traitement, dans les courbes végétales des allées du parc ou dans la clarté géométrique de l’équerre que forment les bâtiments universitaires et les nouveaux cheminements en dallage.
« Le bâti, le minéral et le construit d’aujourd’hui encadrent un paysage végétal aux formes moins linéaires, plus libres et plus fluides, qui évoquent les méandres du vieux Rhin. « Les étudiants, les usagers et le mieux-vivre ensemble sont au centre de la vocation de ce parc. Il doit permettre d’accueillir tous les usages. Il tisse des liens entre la ville, la naturalité et la biodiversité, et s’inscrit dans la trame verte qui, partant du parc de l’Université, passe par le Jardin botanique et se poursuit vers le parc de la Citadelle.
La biodiversité du nouveau Campus
« Tout au long des études et du chantier, nous avons privilégié des matériaux dont le bilan carbone est faible (recyclage de la dalle de béton, granulats locaux, pierre naturelle…).
En lien avec les jardiniers de l’Unistra, et après un diagnostic phytosanitaire qui nous a permis de détecter les arbres malades parmi ceux plantés dans les années 60, nous avons déterminé la répartition des diverses strates de végétation (herbacée, arbustive et arborée) selon des critères à la fois esthétiques et écologiques, afin notamment qu’elles maillent le parc et servent d’infrastructure de déplacement et de gîte aux insectes et à la petite faune non nuisible des villes (oiseaux, papillons, petits mammifères…).
Nous avons tenu compte de la forte fréquentation des lieux, ce qui nous a conduits par exemple à éviter les végétaux allergènes, mais aussi à prévoir un entretien ultérieur des espaces en cohérence avec la politique zéro-phyto de l’Unistra, tout en intégrant un faible coût de gestion et d’entretien des espaces futurs. L’aspect saisonnier a aussi été pris en compte, afin d’assurer des événements colorés tout au long de l’année. Et nous avons veillé à sélectionner des plantes persistantes afin de maintenir une partie de la végétation douze mois sur douze. Le résultat : une palette végétale mixte, composée à la fois de plantes indigènes, robustes et autochtones, de plantes horticoles, et de vivaces exotiques de collection. L’esprit du jardin botanique n’est pas loin. Tout est en place pour que la formidable dynamique du vivant reprenne peu à peu ses droits après notre intervention ».
(Propos recueillis par J.Stoll)
Le nouveau parc en chiffres
10 ha, 2600 m2 de prairies fleuries, 4300 m2 de gazon fleuri, 20 000 m2 de gazon ras pour la pratique des loisirs, 327 arbres plantés, 2600 rosiers, plus de 40 000 arbustes et vivaces (genets, sauges, géraniums, etc), plus de 40 000 bulbes (colchiques, crocus, narcisses, etc) . (Informations Unistra)
Philippe Obrecht, le jardinier en chef de l’Unistra
Philippe Obrecht est un ancien élève de l’école horticole de Wintzenheim. Il a débuté dans le métier comme apprenti il y a bientôt 40 ans. Le service qu’il dirige aujourd’hui a la responsabilité du campus central et de celui d’Illkirch. Quatre jardiniers travaillent sous ses ordres. « Nous veillons à planter des plantes rustiques et vivaces, qui se reproduiront et se développeront d’elles-mêmes année après année, dit-il. Nous sélectionnons également des plantes mellifères, que viennent butiner les abeilles des ruches du Jardin botanique. Nous privilégions des végétaux tels le lierre ou les genêts, qui couvrent bien les sols et permettent de limiter les besoins en arrosage et d’éviter le développement des mauvaises herbes. Ces dernières sont arrachées à la main, aucun produit phyto-sanitaire n’étant utilisé pour les combattre. A côté des gazons où nous passons régulièrement la tondeuse, nous laissons se déployer des prairies fleuries, que nous fauchons deux fois l’an ».
Philippe Obrecht a pris le soin de placer sur le tronc des arbres nouvellement plantés des indications sur leur nom et leur origine. Il évoque un Poirier de Bollwiller (Sorbopyrus), une espèce locale qui viendra prochainement compléter les 35 espèces d’arbres présentes sur le site.
Propos recueillis par J. Stoll