CHARLES-GUSTAVE STOSKOPF
ET LA NAISSANCE DE L'ESPLANADE
CHARLES-GUSTAVE STOSKOPF
ET LA NAISSANCE DE L'ESPLANADE
En réalisant l’Esplanade à Strasbourg – second grand ensemble français après la Défense à Paris –, l’architecte et urbaniste Charles-Gustave Stoskopf obéit à un désir d’ordre : « Tous ceux qui ont participé à l’immense effort de reconstruction ont recherché dans le goût de la discipline une unité d’expression sans laquelle il n’y a pas d’œuvre durable. »
En préconisant le retour aux principes classiques de l’architecture, il réagit à 50 ans de « laisser faire », au développement anarchique des pavillons de banlieue et des bidonvilles aux portes des villes.
Le travail de C.-G. Stoskopf répond à quatre principes directeurs :
C’est la double vocation de l’axe nord sud (avenue du Général de Gaulle) et son prolongement vers Neudorf, qui enjambe par un viaduc le canal de jonction. Il s’agit de :
· rattacher Strasbourg aux faubourgs sud : Neudorf, la Meinau jusqu’à Mulhouse et au-delà ;
· décharger la place Kléber vers laquelle convergeait toute la circulation intra - ou interurbaine.
Le projet est rediscuté par le nouveau maire Pierre Pfimlin qui charge Pierre Vivien d’élaborer un contre-projet. Celui-ci privilégie l’axe est-ouest à travers la Krutenau et un débat s’engage alors au Conseil Municipal en juillet 1959. C.-G.S. montra qu’une liaison majeure à travers la Krutenau buterait nécessairement sur le quai des Bateliers. En quelque sorte, il sauve la Krutenau d’une démolition programmée.
a. Le tracé des voies : Decumanus Maximus et Cardo Maximus
« Le tracé de ces deux grands axes de circulation nous a conduits à faire indistinctement le même geste que firent les Romains quand, sur un banc de gravier dominant les méandres du Rhin, ils construisirent le fortin qui allait devenir le Strasbourg d'aujourd’hui. Ce même geste fut celui des grands architectes qui au cours des 15e, 16e, 17e et 18°e siècles ont construit des villes nouvelles. Ce geste fut encore à l’origine des principales villes du Nouveau Monde. »
Le Decumanus Maximus des Romains, l’axe nord-sud d’une longueur de 800 mètres, c’est l’avenue du Général de Gaulle prolongée par le pont Churchill.
Le Cardo Maximus, soit l’axe est-ouest d’une longueur de 1000 mètres, va de la Cité administrative à la rue Tarade.
Une série de modifications corrige le projet initial. Le prolongement de l’avenue du Général de Gaulle est dévié pour se raccorder au réseau routier de Neudorf. D’où la création de l’actuelle place centrale, fermée par une tour. Sous la pression de J.-M. Lorentz, le projet de tour est abandonné.
Autre modification qui fait perdre de sa vigueur à l’axe est-ouest : l’abandon du projet de reconstruction du pont Tarade.
b. L’Université.
Une composition théorique qui ne sera pas réalisée : l’objectif principal de C.-G. Stoskopf est atteint par la création d’un complexe de 72 hectares reliant les nouveaux espaces universitaires à ceux du 19e siècle. Mais l’ensemble devait être aéré pour s’opposer « avec bonheur à la structure médiévale de la vieille ville qui a une superficie à peine supérieure. ».
Cette partie de l’Esplanade est d’abord confiée à M. Hummel à qui l’on doit la faculté de droit et la tour de chimie. Par la suite, les bâtiments se sont implantés au fur et à mesure des besoins.
C.-G.S. fustige « cet échantillonnage de bâtiments implantés autour d’un axe dévorant qui ne mène à rien (devant la faculté de droit) ».
Un projet passé à la trappe : la nouvelle bibliothèque universitaire qui devait recevoir 400 000 volumes. Voilà ce qu’en dit C.-G.S. : « Le projet approuvé et financé n’a jamais été construit. La municipalité de l’époque me paraît hautement responsable. »
La nature des logements : depuis l’origine, les logements d’étudiants ont été prévus et aucune classe sociale n’a été négligée : « Des logements de grand standing ont été construits nombreux, mais un effort particulier a été fait également en faveur de logements plus modestes. Certains de ces derniers types de logement ne sont pas loin d’égaler en qualité des logements ayant des prétentions plus élevées. »
« Jamais chez les hommes ne s’est manifesté un aussi irrésistible besoin de lumière, de clarté, de soleil. Le soleil brille pour tout le monde… »
« Cette recherche de l’ensoleillement maximum exige de larges espaces vides – que certains jugent excessifs. Ils nous ont permis de créer de vastes emplacements de stationnement. Ils ont permis de créer des parcs et des jardins… Nous verrons un jour des massifs d’arbres dessiner sur les murs blancs les arabesques mouvantes des ombres et des lumières. »
Commerces : au départ, la surface réservée à l’équipement commercial représentait environ le tiers de celle d’aujourd’hui.
Modification : les politiques ont jugé qu’il fallait attirer une clientèle plus large, au grand dam de C.-G.S qui voyait bien le nombre d’habitants diminuer par rapport aux prévisions.
Services publics : C.-G.S. a voulu les limiter aux besoins locaux. Au départ, P. Pflimlin avait prévu, en accord avec le Rectorat, un lycée du côté de la cité Rotterdam.
L’implantation du lycée et du collège rue de Londres constitue donc une modification du projet initial.
« La symétrie n’a pas été partout recherchée. Elle ne s’impose que dans la recherche d’effets monumentaux. Partout ailleurs, les volumes construits ont été implantés avec plus de liberté. Le tracé des rues, l’implantation des bâtiments, leur diversité en ce qui concerne les volumes construits et les façades permettent à notre ensemble d’offrir des milliers de paysages urbains, tous différents. A chaque carrefour, à chaque coin de rue et vu de chaque fenêtre, le plan masse choisi apporte à celui qui sait regarder des visions très diverses, toujours nouvelles, souvent originales et inattendues. »
Conclusion :
A l’Esplanade, C.-G.S. a créé une trame soucieuse d’ordre et d’harmonie. De profondes modifications n’ont pas permis la réalisation complète du projet qui, de bien des façons, est resté tronqué. Mais il reste l’essentiel du plan masse dont l’architecte était convaincu de l’influence considérable sur la vie du quartier et sur celle des habitants.
Dans le supplément du journal Le Monde du 31 juillet 2010, on lit sous le titre de « A Créteil, la cité des habitants heureux », à propos du quartier du Haut du Mont-Mesly : « Si ce quartier ne fonctionne pas comme une cité (comprenez cité de banlieue), l’urbanisme y est pour beaucoup. Le quartier pensé dans sa globalité par l’architecte C.-G.Stoskopf est aéré, composé d’immeubles de taille moyenne entourés d’espaces verts et de jeux pour enfants. Il est surtout bien relié au centre-ville, doté d’un minimum de commerces de proximité, de ce qu’il faut de services publics. »
Alors, les conditions nécessaires pour un quartier où il fait bon vivre seraient-elles – comme l’a voulu C.-G.S. ? –
· de larges courants de circulation, en relation en particulier avec le centre-ville,
· des perspectives urbaines,
· des volumes élevés sans démesure,
· des groupements d’immeubles en grandes unités de voisinage,
· des façades composites, des bâtiments variés,
· des espaces, de l’ensoleillement, des jardins et parcs.
Depuis cette époque fondatrice, les temps ont changé : absence de projet global, fractionnement, préférence pour les mini-quartiers (fussent-ils écologiques), répétition de bâtiments clonés, luxueux ou non, densification du bâti, tours isolées…
Ces nouvelles donnes changent notre regard sur les réalisations du passé et réévaluent l’héritage des années 70.
*extraits des « souvenirs de C.-G.S. » déposés aux Archives départementales du Bas-Rhin.
BIOGRAPHIE
Charles-Gustave, architecte, urbaniste, peintre, écrivain, né à Strasbourg le 2.9.1907. Etudes d’architecture à Strasbourg, puis à Paris.
Second Grand-Prix de Rome en 1933. Lauréat du prix Guadet et du prix Chenavard. Lauréat en 1938 de la fondation G. Blumenthal pour la pensée et l'art français.
Architecte en chef de la reconstruction, il a relevé de leurs ruines les villages de la Poche de Colmar en combinant les traditions régionales et les exigences de la modernité.
Opérations à Strasbourg : achèvement de la Grande Percée par l'agrandissement de la place de l'Homme-de-Fer, le quai des Belges et la Canardière à la Meinau.
Il dirige l'Ecole régionale d'architecture de Strasbourg de 1949 à 1967.
Architecte de la Société immobilière de la Caisse des dépôts (SCIC), il construit des groupes d'immeubles dans la région parisienne dont Créteil Mont-Mesly. La cathédrale Notre-Dame est le couronnement d'une œuvre qui compte près de 25 églises.
A Strasbourg, son nom reste surtout attaché à l'Esplanade que les Strasbourgeois, lors d’une enquête des DNA en 1997, ont placée au troisième rang des quartiers de leur ville les plus agréables à vivre après l'Orangerie et la Robertsau.
Charles-Gustave Stoskopf n'a jamais abandonné la peinture, la création de décors et de costumes pour le Centre Dramatique de l’Est ainsi que l’écriture. Ses pièces ont été jouées au Barabli.
Il meurt le 22 janvier 2004.
Dossier réalisé par Mireille Nonnenmacher (ARES Flash - Mai 2011)