2. Potentiel d'action

Le potentiel d'action (PA, spike en anglais) correspond à un changement transitoire du potentiel membranaire qui devient momentanément positif. Le potentiel d'action trouve son explication dans une augmentation brutale et transitoire de la perméabilité membranaire au Na+, par ouverture de canaux ioniques sélectifs au Na+ (canaux fermés au repos).

Perméabilité membranaire dépendante du voltage

Le potentiel de repos de la membrane est relativement stable de l'ordre de -65 mV (1). La survenue d'un stimulus va modifier ce niveau d'équilibre et engendrer l'apparition des PA. Les PA surviennent seulement quand le potentiel de membrane devient plus positif qu'un certain niveau seuil. Lorsque la dépolarisation de la membrane dépasse le seuil, elle génère des PA. L'apparition des PA, liée aux flux ioniques, est donc dépendante du potentiel de membrane.

Les changements de perméabilité au sodium et au potassium sont nécessaires et suffisants pour l'émission du PA. Pour la majorité des neurones, les changements de perméabilité membranaire à l'origine des PA consistent en une augmentation rapide et transitoire de la perméabilité au sodium suivie par une augmentation plus lente mais plus durable de la perméabilité au potassium. Ces deux perméabilités sont dépendantes du voltage : elles augmentent au fur et à mesure que la membrane se dépolarise.

On utilise préférentiellement le terme de conductance membranaire (la conductance étant l'inverse de la résistance) pour évaluer les mouvements ioniques d'un point de vue électrique (plutôt que d'un point de vue moléculaire comme c'est le cas avec la notion de perméabilité). Du fait d'étroites relations entre elles, la conductance peut être assimilée à la perméabilité membranaire. Le nombre de canaux membranaires voltage-dépendants ouverts est proportionnel à la conductance ionique (1).

Dans le cas d'une stimulation adéquate (expérimentale, par application de courant au moyen d'une microélectrode ou physiologique à partir d'un autre neurone ou d'un récepteur), le potentiel de membrane devient plus positif que le potentiel de repos, il s'agit d'une dépolarisation. Lorsque cette dépolarisation atteint un niveau critique du potentiel de membrane, appelé potentiel-seuil, le potentiel d'action apparaît. La génèse d'un PA est comparable au déclenchement d'un appareil photographique (1). Exercer une pression progressive sur l'obturateur n'a aucun effet jusqu'à une valeur critique ; puis l'obturateur s'ouvre brutalement. De même, la dépolarisation progressive d'un neurone n'a aucun effet jusqu'à un certain seuil à partir duquel est soudainement généré un PA. C'est pour cette raison que les PA sont dits de type "tout ou rien" (1). Le PA présente une phase ascendante de dépolarisation très rapide jusqu'à un pic d'environ +40 mV (1). Pendant une courte période, l'intérieur du neurone devient positif par rapport à l'extérieur. Cette dépolarisation est suivie d'une phase (descendante) de repolarisation qui amène transitoirement le potentiel de membrane à un niveau plus négatif que le potentiel de repos. Cette période est appelée hyperpolarisation. Le retour au potentiel de repos se fait graduellement. La durée du PA du début à la fin est de l'ordre de 2 ms (1).

Le potentiel-seuil correspond au niveau de dépolarisation membranaire en-dessous duquel la vitesse d'entrée du Na+ reste inférieure à la vitesse de sortie du K+. Lorsque le potentiel de membrane atteint le seuil, la perméabilité ionique de la membrane est en faveur du sodium plutôt que du potassium (1). Lorsque le flux entrant de Na+ devient égal au flux sortant de K+, l'état d'instabilité est atteint: tout stimulus dépolarisant surajouté entraînera "l'explosion" du PA.

Lorsque le potentiel membranaire devient plus positif que le potentiel de repos et dépasse le potentiel-seuil, la dépolarisation membranaire provoque un accroissement rapide et auto-entretenu de la conductance au Na+: il apparaît alors un premier flux entrant précoce de Na+ donnant naissance à un premier courant électrique bref, la phase ascendante de dépolarisation du PA. Le flux sodique est lié à une importante force électromotrice qui s'exerce sur les ions sodium. De début retardé (1 ms), apparaît ensuite une augmentation de la conductance au K+ permettant l'apparition d'un flux sortant de K+ responsable d'un 2e courant de sens opposé et prolongé. Quand la membrane est fortement dépolarisée, une puissante force électromotrice pousse les ions potassium hors de la cellule. La phase de repolarisation résulte de l'association de l'inactivation de la perméabilité au Na+ et au K+. Cet effet conjugué ramène le potentiel de membrane à son niveau négatif de repos. Étant donné que la conductance au K+ devient momentanément plus importante qu'elle ne l'est en condition de repos, le potentiel de membrane devient brièvement plus négatif que le potentiel de repos normal (hyperpolarisation). Cette hyperpolarisation inactive la conductance aux ions dépendante du voltage, ce qui permet au potentiel de membrane de retourner à son niveau de repos. La dépolarisation de la cellule qui accompagne le PA est ainsi provoquée par l'afflux d'ions sodium à travers la membrane, et la repolarisation est provoquée par la sortie d'ions potassium.

Répétition des PA

L'amplitude du PA est indépendante de l'amplitude du stimulus qui le déclenche (de plus forts courants de stimulation ne déclenchent pas des PA plus grands): les PA d'un neurone obéissent donc à la loi du "tout ou rien" (ils surviennent complètement ou pas du tout). En revanche, si l'intensité ou la durée du stimulus augmente, plusieurs PA apparaissent : l'intensité du stimulus est donc codée par la fréquence des PA et non par leur amplitude.

L'injection d'un courant dépolarisant de façon continue dans un neurone à travers une microélectrode déclenche une salve de PA. La fréquence de décharge des PA va augmenter lorsque le courant dépolarisant augmente : la fréquence des PA reflète l'amplitude du courant dépolarisant. La fréquence maximale de décharge qu'un neurone peut atteindre est d'environ 1000 Hz (1). Le nombre de PA qu'une cellule nerveuse peut produire par unité de temps est en effet limité. Cette limite est variable selon le type de neurone et est fonction de la densité et de la nature des canaux ioniques.

Quand un PA est initié, le suivant ne peut survenir qu'après un délai de 1 ms (1). Ce délai s'appelle la période réfractaire absolue. De plus, il est plus difficile d'initier un autre PA pendant plusieurs millièmes de secondes après la fin de la période réfractaire absolue. Cette période s'appelle la période réfractaire relative: la quantité de courant nécessaire pour dépolariser le neurone jusqu'au seuil du PA est plus élevée que dans les conditions normales.

La durée du PA est habituellement de l'ordre de 1 ms mais cette durée ainsi que la forme du PA varient d'une cellule à l'autre. Les neurones ne sont pas semblables sur le plan morphologique ni sur le plan électrique du fait de la diversité des propriétés et du nombre de canaux ioniques de leur membrane. Il existe une grande variété de canaux ioniques et un seul neurone peut contenir par exemple plus d’une douzaine de canaux ioniques différents. La durée ainsi que la forme du PA varient ainsi d'une cellule à l'autre. 

Par exemple, dans les neurones de l'olive inférieure des mammifères (noyau bulbaire), la phase de repolarisation comprend un plateau et une hyperpolarisation prolongéés et le PA peut durer quelques dizaines de millisecondes. Ces variations sont essentiellement liées à l'importance ou la distribution de certains canaux ioniques. Autre exemple, dans les neurones de Purkinje du cervelet, les PA présentent une morphologie complexe résultant de la sommation de multiples potentiels individuels issus des différentes parties du neurone (corps cellulaires, axones et dendrites) (d'après (2)).

Canaux sodiques voltage-dépendants

Il s'agit d'une protéine transmembranaire formant un pore dans la membrane, hautement sélectif aux ions Na+. Ce pore s'ouvre et se ferme avec les changements du potentiel de membrane (1). Ce canal protéique comporte quatre domaines distincts réunis entre eux et formant un pore. Ce pore est fermé quand le potentiel de la membrane au repos est négatif. Quand la membrane est dépolarisée jusqu'au seuil, la molécule subit une modification de structure amenant à une configuration qui permet le passage des ions Na+ à travers le pore. Ce sont les boucles polypeptidiques présentes dans chacun des domaines au niveau du pore qui assurent la sélectivité du canal au sodium. L'étude des canaux sodiques par la méthode du patch-clamp (Figure) a permis de montrer qu'une variation du potentiel membranaire de -80 à 65 mV n'a que peu d'effets sur les canaux sodiques voltage-dépendants : ils restent fermés car le potentiel membranaire n'a pas atteint le seuil de dépolarisation. Le fait que les canaux ne s'ouvrent que lorsque la membrane atteint un certain niveau de dépolarisation explique l'existence du seuil du PA. Lorsque le potentiel membranaire passe ensuite de -65 à -40 mV, les canaux s'ouvrent brutalement (1). La membrane d'un axone peut contenir des centaines de canaux sodiques par µm2 et l'action conjuguée de ces canaux est nécessaire pour générer un PA (1). Leur fonctionnement est stéréotypé (1):

Canaux potassiques voltage-dépendants

Les canaux potassiques voltage-dépendants sont des protéines transmembranaires constituées de quatre sous-unités distinctes associées pour former un pore. Un changement conformationnel sous l'effet de la dépolarisation permet le passage des ions potassium à travers le pore.

La phase descendante du PA s'explique par l'action conjuguée de la fermeture des canaux sodiques voltage-dépendants et l'ouverture des canaux potassiques voltage-dépendants (1). Ces canaux potassiques s'ouvrent en réponse à la dépolarisation de la membrane mais, à la différence des canaux sodiques, seulement après un délai d'environ 1 ms. Du fait de ce délai, l'augmentation de la conductance potassique génère un courant dit de rectification tardive du potentiel de membrane (1).

L'ouverture des canaux potassiques génère un flux sortant de potassium vers l'extérieur de la cellule. Lors de la phase de repolarisation, la perméabilité membranaire au sodium est très faible, le potentiel de membrane tend donc vers le potentiel d'équilibre du seul potassium (i.e. le sodium ne participe plus au potentiel de membrane). Le potentiel d'équilibre du potassium étant plus négatif (-80 mV) que le potentiel de repos (-65 mV), le potentiel de membrane devient plus négatif que le potentiel de repos : on parle d'hyperpolarisation (1).

La sortie des ions K+ par ces canaux vient donc contrecarrer toute dépolarisation ultérieure de la cellule: le potentiel de membrane est hyperpolarisé tant que les canaux potassiques sont ouverts. Aussi faut-il plus de courant dépolarisant pour que le potentiel de membrane atteigne à nouveau le seuil de dépolarisation : c'est la période réfractaire relative (1).

La création du potentiel de repos est donc le pré-requis pour qu’une cellule excitable génère un PA:

Sans potentiel de repos (où si celui-ci était atténué de manière prolongée par une augmentation du potassium extracellulaire par exemple), les canaux sodiques resteraient en position "inactivés" et ne pourraient s’ouvrir; aucun PA ne pourrait alors survenir.

Références