Mémoire

M1 NSC NBC Mémoire

Page rédigée avec la collaboration du Pr D Guehl (Institut des maladies neurodégénératives, Université Bordeaux 2 Segalen, CNRS UMR 5293. dominique.guehl@chu-bordeaux.fr)

Introduction

La mémoire est définie comme la fonction qui permet l'enregistrement de nouvelles informations, leur stockage et leur restitution. Le concept de mémoire n’inclut pas les apprentissages fondamentaux du développement normal de l’enfant: marche, langage, connaissances (gnosies) et fonctions de coordination et d’adaptation des mouvements volontaires de base dans le but d’accomplir une tâche donnée (praxies) (3).

L’apprentissage correspond à l’acquisition de nouvelles procédures, informations ou connaissances et la mémoire proprement dite correspond à la rétention de l’information acquise (1). Différents processus neuronaux et différentes structures sont impliqués en fonction de la nature de l’information et des conditions d’utilisation de cette information. L’apprentissage et la mémoire n’impliquent en effet pas une seule structure ou un seul mécanisme cérébral. En d'autres termes, la mémoire n'est pas unique: il existe plusieurs systèmes de mémoire, interdépendants, chacun pouvant être subdivisé en plusieurs sous-systèmes (3).

Il existe plusieurs façons de classer les différents types de mémoire. On distingue classiquement la mémoire déclarative de la mémoire non déclarative, la mémoire à court terme de la mémoire à long terme (1).

Mémoire déclarative vs. mémoire non déclarative

Mémoire déclarative

On considère que le stockage des faits et des évènements de la vie fait appel à la mémoire déclarative (la mémoire déclarative correspond ainsi au sens commun utilisé dans le langage courant pour parler de mémoire, de souvenir) (1). Ex: "Léonard de Vinci a vécu à Ambroise de 1516 à 1519" ou "La capitale du Népal est Katmandou" ou "Le cours de physiologie de la semaine dernière était vraiment ennuyeux"... Généralement la mémoire déclarative est disponible pour un rappel conscient des faits ou évènements. La mémoire déclarative est de fait souvent appelée mémoire explicite car elle nécessite des efforts conscients. La capacité de stockage de la mémoire déclarative est particulièrement élevée même si celle-ci n'est pas déterminée. Les principales structures impliquées dans ce type de mémoire sont le lobe temporal médian et le diencéphale (1).

Mémoire non déclarative

La mémoire non déclarative se scinde en deux catégories: les réponses émotionnelles (telles que "la peur apprise") et la mémoire procédurale, correspondant à l’apprentissage et la mémorisation des habilités motrices ou plus généralement des comportements (1). La mémoire non déclarative fait appel à des processus inconscients i.e. elle n’est pas soumise à un rappel conscient: les tâches apprises peuvent s’effectuer sans remémoration consciente. On peut ne pas se rappeler quand on a fait du vélo pour la première fois (mémoire déclarative) mais le cerveau a retenu comment on en fait (mémoire non déclarative ou procédurale). On apprend ainsi à faire du vélo, à lacer nos chaussures, à jouer de la cornemuse... Elle est fréquemment appelée mémoire implicite car elle résulte de l’expérience. Elle est plus proche dans le langage courant "d’habitudes", "de savoir-faire" ou "d’habilité" (1). Les principales structures impliquées dans ce type de mémoire sont les noyaux gris centraux, plus particulièrement le striatum (pour les habiletés motrices acquises, ex: savoir faire du piano), le cervelet (pour la musculature squelettique, ex: savoir faire du ski), l’amygdale (pour les réponses émotionnelles, ex: avoir peur des requins).

Il existe une autre différence entre mémoire déclarative et non déclarative. Les souvenirs de la mémoire déclarative se forment souvent facilement et disparaissent tout aussi facilement alors que les souvenirs de la mémoire non déclarative se forment après un temps certain d’apprentissage et un certain nombre de répétitions mais ils sont moins susceptibles de disparaître.

Mémoire de travail, mémoire à court terme et mémoire à long terme

Ces distinctions concernent la mémoire déclarative. Certaines formes de mémoire sont plus durables que d’autres. La mémoire à court terme est de l’ordre de quelques secondes à quelques heures et concernent des données relativement labiles. La mémoire à long terme porte sur les souvenirs dont on peut se rappeler des jours, des mois voire des années après leur acquisition (ex: les souvenirs de l’enfance) (1).

On considère généralement que les informations sensorielles font initialement l’objet d’un processus de stockage à court terme puis qu’elles sont progressivement transformées en une forme plus permanente de mémoire selon un processus que l’on dénomme consolidation mnésique. Cependant, toutes les informations ne font pas l’objet d’un stockage à long terme (ex: qu’avez-vous mangé hier soir ? - Des pâtes, très bien - mais qu’avez-vous mangé jeudi dernier à midi ? - Vous avez oublié -). De plus, l’état de mémoire à court terme n’est pas un intermédiaire obligatoire pour une mémorisation à long terme: le passage par les mémoires à court terme n’est pas obligatoire pour le processus de consolidation mnésique. Les deux types de mémoire sont susceptibles d’exister en parallèle (1).

Alan Baddeley et Graham Hitch ont développé dès 1974 un concept de mémoire de travail introduisant la notion d'attention et postulant l'existence de différents sous-systèmes selon la nature de l'information (2). La mémoire de travail correspond à un maintien temporaire d’informations, limité en capacité et qui nécessite des répétitions mentales (garder l’information "à l’esprit") (1).

La mémoire de travail est un système responsable du traitement et du maintien temporaire des informations nécessaires à la réalisation d'activités aussi diverses que la compréhension, l'apprentissage et le raisonnement (4). Elle est composée de deux sous-systèmes satellites de stockage (la boucle phonologique et le calepin visuospatial), coordonnés et supervisés par une composante attentionnelle, l'administrateur central (4).

Ainsi, la mémoire de travail n'est pas uniquement une voie de passage des entrées sensorielles en mémoire à long terme mais un espace de travail entre les données issues de l'environnement et les connaissances en mémoire à long terme (4).

On mesure souvent la mémoire de travail en mesurant le nombre de chiffres délivrés au hasard qu’un individu peut restituer après avoir entendu une liste de ces chiffres. On parle communément de l’empan de la mémoire immédiate (normale de 7 plus ou moins deux chiffres) (1). Des patients atteints de lésions corticales peuvent conserver une mémoire à court terme pour les informations en rapport avec une modalité sensorielle donnée (par ex, se rappeler de chiffres après les avoir vus écrits) mais avoir un profond déficit de la mémoire à court terme si les informations sont d’une autre origine sensorielle (par ex, ils ne peuvent se rappeler d’un seul chiffre après les avoir entendus). Ces cas d’empans différents en rapport avec des modalités sensorielles elles-mêmes différentes confortent l’idée de plusieurs sites de stockage temporaire dans le cerveau (1).

Structures impliquées dans les processus mnésiques

Des avancées importantes sur la compréhension des structures impliquées dans les processus d'apprentissage et de mémorisation ont été réalisées dans les années vingt par le psychologue américain Karl Lashley, notamment à partir d'expériences de lésions corticales réalisées chez le rat, soumis au test du labyrinthe. Les structures nerveuses impliquées, comme les mécanismes neuronaux sous-jacents aux composantes procédurales et déclaratives de la mémoire, et aussi des processus à court terme et à long terme, ne sont pas identiques (1). Certaines structures anatomiques sont clairement impliquées dans les processus de mémorisation: il en est ainsi du système limbique, du cortex cérébral en général et des cortex sensoriel, associatif et orbitofrontal (3). Aucune fonction mnésique ne correspond à une localisation définie, "cartographique". Le processus est dynamique, en boucle, emprunte les commissures, ce qui entraîne une suppléance par bilatéralité des circuits communicants. D'autre part les structures anatomiques qui supportent la mémoire n'exercent pas uniquement cette activité mnésique (3): les aires néocorticales servent à la fois au traitement de l'information sensorielle et au stockage des souvenirs (1).

Mémoire déclarative

Dans le lobe temporal médian se trouve un ensemble de structures interconnectées qui jouent un rôle particulièrement important dans la consolidation de la mémoire déclarative: l’hippocampe et les aires corticales proches ainsi que les voies neuronales qui relient ces structures à d’autres parties du cerveau (1):

Afférences de l'hippocampe

Les informations parvenant dans la partie médiane des lobes temporaux proviennent des aires corticales associatives, représentant des régions de forte intégration de modalités sensorielles de tout ordre (1). Par exemple, le cortex visuel inférotemporal, aire associative visuelle (aire IT), se projette sur le lobe temporal médian, mais pas les aires visuelles primaires comme le cortex strié. Cela signifie que les informations afférentes véhiculent des informations complexes, peut-être des informations importantes pour le comportement, plutôt que des réponses à des simples faits comme la détection de la limite entre l’ombre et la lumière (1).

Les informations atteignent d’abord le cortex rhinal (entorhinal et périrhinal) et le cortex parahippocampique, avant de rejoindre l’hippocampe (1). Les principales voies afférentes de l'hippocampe sont ainsi (3):

Efférences de l'hippocampe

Les efférences de l'hippocampe sont de deux types (1): celles qui rejoignent les piliers du fornix et celles qui se dirigent vers le néocortex associatif. Le fornix, ou trigone, véhicule la grande majorité des efférences de l'hippocampe (1). Il décrit une boucle autour du thalamus et se termine dans les corps mamillaires hypothalamiques, formant ainsi une longue voie hippocampo-mamillaire appelée circuit de Papez. Ce circuit porte le nom du neuronanatomiste américain, James Papez qui l'a décrit en 1937, en anglais, effaçant les travaux réalisés trente ans plus tôt par un neurobiologiste argentin, Christofredo Jakob qui l'avait décrit de manière trop "confidentielle"... en allemand. C'est la principale voie de sortie du complexe hippocampique, un circuit reliant entre eux l'hippocampe, le corps mamillaire, le thalamus et le cortex cingulaire.

Diencéphale

En dehors du lobe temporal, une des parties du cerveau les plus concernées par la mémoire est le diencéphale (1). Les trois parties du diencéphale impliquées dans les processus de mémoire de reconnaissance sont les noyaux antérieur et dorsomédian du thalamus, et les corps mamillaires dans l’hypothalamus (1). Le fornix, principale voie efférente de l'hippocampe, se termine sur les corps mamillaires hypothalamiques qui se projettent à leur tour sur le noyau antérieur du thalamus et celui-ci se projette sur le cortex cingulaire formant le circuit hippocampo-mamillo-thalamo-cingulaire. Le noyau dorso-médian du thalamus reçoit aussi les afférences des structures du lobe temporal (circuit de Mishkin), y compris de l'amygdale et du cortex inférotemporal, et se projette sur presque tout le cortex frontal (1).

Un circuit trisynaptique parallèle au circuit de Papez, reliant l'amygdale au noyau dorsomédian du thalamus et au cortex préfrontal, a été décrit par Mortimer Mishkin chez le singe (2, 3). L'amygdale est une structure grise située à la partie dorsale de la face interne du lobe temporal, sous le putamen et en avant de la queue du noyau caudé. On y distingue deux principaux groupes nucléaires: le groupe corticomédian (phylogénétiquement le plus ancien, peu développé chez l'homme) et le groupe basolatéral. Le noyau central est tantôt considéré comme une troisième subdivision, tantôt considéré comme faisant partie du complexe corticomédian. Les connexions du complexe amygdalien passent par deux voies principales (2, 3):

Région septale

La région septale comprend l'aire corticale, l'aire septale 25, gyrus paraterminal et gyrus diagonalis (hippocampe précommissural) et les noyaux du septum à la face interne du lobe frontal comprenant un groupe nucléaire latéral, un groupe médial et le noyau de la bandelette de Broca, auxquels est rattaché le nucleus basalis de Meynert, lésé dans les démences de type Alzheimer (3). La jonction septohippocampique et hippocamposeptale est de grande importance et ses connexions avec le tronc cérébral, l'hypothalamus et le cortex sont pour la plupart à double sens (3).

Avec l’hippocampe, le cortex siégeant dans et autour du sillon rhinal contribue manifestement à une transformation critique de l’information provenant des aires associatives du cortex pour la consolidation mnésique de la mémoire déclarative (1). Il se pourrait que, en plus de la consolidation, les souvenirs de la mémoire déclarative soient stockés temporairement dans le cortex de la partie médiane des lobes temporaux, avant d’être transférées de façon plus permanente en d’autres endroits du néocortex. Une des hypothèses suggèrent que ces structures, l’hippocampe et le cortex rhinal, présentent effectivement des rôles distincts, mais il n’existe pas à ce jour de consensus sur la nature de cette distinction.

Outre les circuits de Papez et de Mischkin dans les processus de mémorisation, d'autres structures interviennent également comme les noyaux de la région septale et le noyau basal de Meynert, le carrefour pariéto-occipital impliqué dans l'attention et la mémoire immédiate, le cortex préfrontal (2).

Au final, le siège des souvenirs n'est pas dans l'une des structures décrites ci-dessus, mais est distribué dans le néocortex, là où ils sont élaborés et il y a de grandes difficultés à attribuer à une structure nerveuse déterminée un rôle mnésique bien défini (2). Le schéma proposé par Signoret et Mishkin résume les éléments décrits (3):

Mémoire procédurale

Les bases de la mémoire procédurale sont très complexes, notamment parce que différents types de mémoire non déclarative pourraient impliquer des parties différentes du système nerveux. Parmi ces structures, une structure des noyaux gris centraux, le striatum joue un rôle important dans l'apprentissage et la mémorisation des procédures et habiletés motrices (1).

Support neuronal et hypothèses cellulaires des processus mnésiques

Mémoires Part. 2 Modèles cellulaires

Troubles mnésiques

Mémoires Part. 3
2021 S Belliard TTT Alzheimer
Cours BDT MA 1 S Belliard 2019
Cours BDT MA 3 S Belliard 2019

Evaluation initiale de la mémoire en clinique 

Par les Dr Anne Salmon et  Serge Belliard, Service de Neurologie, CHU de Rennes, 2018

Mémoire épisodique

Mémoire sémantique

La mémoire sémantique est généralement beaucoup plus solide et peu perturbée. En pratique, on l'examine en demandant au patient de définir le plus précisément possible des noms propres et des noms communs peu fréquents (que savez-vous sur le kangourou, l'hippopotame... qui est Claude François, Michel Platini…)